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Changements de nom de famille : un tournant historique

22 février 2022 Défense du nom
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La contestation de la dévolution légitime et historique de nos noms de famille justifie l’existence même au sein de l’ANF d’une commission de défense du nom. Aujourd’hui, le régime juridique du changement de nom de famille est sur le point de connaître un bouleversement majeur, qui est le signe d’une évolution sociétale.

 

« Un nom de famille, c’est une identité, une intimité, une histoire, une mémoire… » a soutenu le ministre de la justice, Éric Dupont-Moretti pour présenter son projet de loi « pour garantir l’égalité et la liberté dans l’attribution et le choix du nom ».

 

Une « identité, une intimité, une histoire, une mémoire », certes, mais à quelle échelle ?

La proposition de loi « pour garantir l’égalité et la liberté dans l’attribution et le choix du nom », présentée le 27 décembre 2021 par le Garde des sceaux au Parlement, vise à faciliter la reprise par un enfant du nom de famille de la mère, accolé à celui du père ou seul, comme alternative donnée à l’attribution classique du nom de famille du père, notamment en cas de divorce. La volonté affichée par le gouvernement est d’offrir un même traitement et une même visibilité aux noms de famille de chaque parent ainsi que la faculté pour tout enfant, à tout moment de sa vie, de changer d’option entre les noms de ses parents.

 

Dans sa forme actuelle, le texte prévoit qu’une personne majeure pourra porter « à titre d’usage, le nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien, par substitution ou adjonction à son propre nom » (Article 1er). En outre, toute personne majeure aura la possibilité, par simple recours à l’officier de l’état civil, de demander « son changement de nom, par substitution ou adjonction à son propre nom, du nom de famille du parent qui ne lui a pas transmis le sien », ce choix ne pouvant être fait « qu’une seule fois » (Article 2).

 

Le régime actuel du changement de nom de famille exige un motif légitime justifié par un nom de famille ridicule ou difficile à porter, une volonté de francisation à des fins d’assimilation, le relèvement d’un nom de famille éteint, la reprise d’un nom utilisé depuis longtemps et qui nous reconnait publiquement ou le souhait de ne plus être assimilé à un parent condamné en justice. La demande est soumise à l’autorisation du ministère de la Justice après constitution d’un dossier, et à des conditions de publicité au Journal Officiel, sous réserve qu’un tiers n’ait pas fait opposition.

 

Examinée la semaine dernière par la commission des lois, la proposition de loi rapportée par le député Patrick Vignal sera discutée ce mercredi 19 janvier 2022 en séance publique à l’Assemblée Nationale, avant d’arriver au Sénat début février. La procédure accélérée enclenchée par le gouvernement réduit la navette parlementaire à une seule lecture par chambre, si bien que la loi pourrait être adoptée dès le 15 février prochain si le Sénat en valide le texte. Si en revanche l'accord ne se fait pas entre les chambres, une commission mixte paritaire (CMP) constituée de députés et de sénateurs pourrait être convoquée.

 

Deux mois pour révolutionner l’état civil

On peut déjà s’étonner de l’empressement avec lequel un bouleversement aussi profond de l’état civil est porté à l’ordre du jour, parmi les nombreux sujets prioritaires du moment et alors que les Français n’ont rien demandé. A cet égard, les exemples invoqués à répétition pour justifier cette réforme relèvent principalement de cas particuliers, plus ou moins exceptionnels, comme celui d’un parent incestueux dont on ne voudrait plus porter le nom. L’ampleur des modifications législatives sur les noms de famille survenues depuis plus de vingt ans montrent que, sur ce sujet en apparence secondaire, il y a un réel acharnement à déconstruire.

 

D’autre part, il est permis de douter que la remise en cause des fondements de l’état civil tels que le principe d’immutabilité du nom et qui ont pour but la stabilité des identités et des rapports sociaux, débouche sur une réelle simplification administrative. L’autre cas particulier abondamment cité est celui de cette mère divorcée, dont l’enfant porte le nom du père et qui se voit sommée de produire son livret de famille à la moindre démarche administrative. La situation sera-t-elle plus simple quand aucun des membres d’une même famille ne portera plus le même nom ? Combien de tracasseries administratives supplémentaires surgiront-elles ailleurs ? Dans le cas du double nom de famille, c’est-à-dire des noms du père et de la mère accolés, comment gérer les noms à rallonge au fil des générations ?

 

Quant à l’égalité entre parents dans l’attribution du nom, dont il était question dans le nom initial de cette loi finalement rebaptisée en loi « relative au choix du nom issu de la filiation », elle s’immisce dans le problème délicat de la place que tiennent les parents dans la construction de l’enfant, où traditionnellement « la mère donne la vie et le père donne le nom ». Comme le rappelle le psychanalyste Jean-Pierre Winter[1] : « en incitant l’enfant à choisir, on met une pression inutile sur lui. Insidieusement, cela revient à lui demander s’il préfère son père ou sa mère. Pouvoir renoncer ou pas à l’un des noms fait peser sur ces jeunes de 18 ans une grande responsabilité. Il y a là quelque chose qui, paradoxalement, relève non de l’ajout, mais d’une tentative d’effacement. »

 

L’effacement dont il s’agit n’est autre que la perte de l’identité masculine et la liquidation de la filiation paternelle : « Effacer le nom du père, poursuit Jean-Pierre Winter, ce serait effacer un lien qui rappelle à l’enfant que sa mère ne l’a pas fait seul et qu’il ne lui appartient pas. Même si le père est absent, pas impliqué, contestable, même si le père n’est pas « un papa », il existe. […] La mère, parce qu’elle a porté l’enfant, a déjà un lien indéfectible avec lui, organique, sensitif, symbolique. Le lien n’est pas identique, avec le père, il est moins immédiat. La transmission du nom du père devient alors une création administrative pour signifier ce lien, le consacrer pleinement et marquer la reconnaissance paternelle. »

 

Une réforme d’inspiration libérale qui comporte de nombreux risques

Cette réforme, qui s’inscrit dans une révolution anthropologique plus large, est lourde de conséquences pour la société entière, mais particulièrement pour l’ANF et pour nos familles.

 

C’est d’abord le risque de mettre à mal l’unité familiale, de faire éclater des fratries, dans le cas où des frères et sœurs feraient le choix d’un nom différent. « Le principe même de généalogie deviendrait de plus en plus complexe. » souligne Laure de Saint-Pern[2], maître de conférences en droit privé à l'université de Paris. « Cette réforme, poursuit-elle, conforte l'idée que chacun est le maître de son identité et n'a pas à se faire imposer par l'État un nom qui ne lui convient pas. Cette libéralisation de l'état civil, inscrite dans une logique d'individualisme, participerait à la déstructuration de l'institution de la famille ».

 

A l’ANF, nous sommes aussi particulièrement conscients que « le patronyme est ce qui rattache le Français à sa lignée, à son terroir, à son pays ; que le patronyme est, pour ceux qui n’ont plus rien, le seul patrimoine inaliénable qu’ils possèdent et qu’ils peuvent transmettre ; que le patronyme, le nom du père, est constitutif de l’identité familiale, sociale, nationale »[3]. Changer de nom constitue un acte d’une grande portée symbolique, qui doit rester une exception strictement encadrée par le droit. La longueur de la procédure actuelle marque bien l’importance et la solennité d’une telle démarche ; la banaliser reviendrait à consacrer la prééminence de l’ego sur la filiation.

 

Par ailleurs, les patronymes, apparus en France au temps des cathédrales, sont profondément ancrés dans notre culture : « neuf siècles d’épaisseur historique leur ont donné une valeur patrimoniale exceptionnelle. Ces noms, qui furent ceux des acteurs de notre histoire, grands ou petits, avant de devenir les nôtres, méritent la même protection que les monuments, les œuvres d’art et tout ce qui concourt à faire de nous une nation singulière ». Nous empruntons ici les mots de la très bonne tribune de l’association des Vieux Noms Français Subsistants (VNFS)[4], que nous joignons à cet article. Par conséquent, « cette nouvelle loi va faire disparaitre des milliers de noms historiques, au bénéfice d’autres, jugés plus valorisants ».

 

Nouveaux enjeux pour la noblesse et la Défense du nom

Les conséquences en matière de défense du nom sont immenses. Si les règles de transmission de la noblesse restent inchangées, il est probable en revanche que nos noms soient de plus en plus souvent transmis par les femmes, et ainsi que le nombre des familles non-nobles homonymes de familles nobles s’accroisse de manière exponentielle. « Dans quelques décennies, plus personne ne pourra distinguer les noms authentiques de ceux qui auront été bricolés au gré de la fantaisie de leurs porteurs »[5].

 

Les titres de noblesse n’étaient plus depuis des siècles synonymes d’appartenance à la noblesse ; c’est désormais le nom de famille qui va en être complètement décorrélé. Une page importante se tourne, car la noblesse perd un de ses marqueurs visibles, et se retranche là où seule une commission d’experts peut venir la reconnaitre. Seule l’adhésion à l’ANF pourra maintenant faire vraiment foi.

 

Une autre conséquence de taille est que, si la loi valide la possibilité de changer de nom directement auprès de l’officier d’état civil, il n’y aura plus moyen pour nos familles de faire opposition, ni même d’être mis au courant d’une reprise de nom.

 

Que ceux d’entre nous qui ont un accès privilégié à des élus, à des journalistes ou à toute autre personne susceptible d’alerter sur les risques de cette loi, n’hésitent pas à le faire !

 

La Défense du nom

defensedunom@anf.asso.fr

 
Crédits dessin : Sébastien Zollkau

 

 

[1] La Croix, « Faut-il rendre automatique le double nom de famille ? » par Alice Le Dréau, le 30 mai 2021 sur www.la-croix.com (cliquer ici)

[2] Le Figaro, « Changement de nom de famille : l'état civil en passe d'être révolutionné » par Agnès Leclair, le 19 décembre 2021, sur www.lefigaro.fr (cliquer ici)

[3] Boulevard Voltaire, « Éric Dupond-Moretti veut révolutionner le droit civil : la déconstruction de l’identité française en marche », par Marie d'Armagnac le 21 décembre 2021, sur www.bvoltaire.fr (cliquer ici)

[4] « Les noms de famille, un patrimoine en péril », par l’association des Vieux Noms Français Subsistants (VNFS), le 8 janvier 2022 (voir ci-joint)

[5] idem