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Hommage à l'armée (1914-1918)
Ni la puissance destructive des projectiles, ni la portée des canons, ni les nouveaux engins de combat aussi inattendus que terrifiants dans leurs effets ne sont le seuls et essentiels artisans de la victoire. L'arbitre souverain de la bataille, c'est la valeur des âmes.
L'arme de l'infanterie est plus que toute autre l'expression de cette "valeur des âmes" parce qu'elle est le peuple, la masse, parce que plus que toute autre elle porte le poids accablant de la lutte.
Marcher, marcher encore, marcher quand même à demi mort de fatigue, trempé jusqu'aux os, transi de froid, ou bien épuisé de chaleur et de soif dans l'air embrasé d'une journée torride, dans l'atmosphère obscurcie et épaissie par l'âcre nuage de poussière que soulève le martèlement continu de la "Piétaille". Gravir la pente du terrain sous le lourd fardeau du sac, charger baïonnette et canon dans le sifflement des balles, le crépitement des mitrailleuses et le mugissement des obus. Combattre le jour, combattre la nuit, veiller toujours : mourir obscurément dans le sillon d'un labour, dans l'excavation creusée par les projectiles ou dans le mystère d'un épais taillis.
Vivre sous terre à quelques mètres de l'ennemi dans la boue visqueuse ou liquide - sous des rafales glacées de neige poussées par l'âpre vent du Nord, - dans l'atroce vision des camarades affreusement déchiquetés - au contact des mourants qui râlent et des morts en décomposition. - Subir pendant de longues heures de jour et de nuit une affolante tempête de fer et de feu, une avalanche d'obus et de torpilles qui menacent de tout écraser, de tout niveler, de tout ensevelir. Attendre dans le frémissement de tout l'être l'attaque imminente qu'il faudra repousser dans un féroce corps à corps, - franchir le parapet pour courir sus à l'ennemi en traversant d'aveuglants et terrifiants tirs à barrage ; bondir de trous d'obus en trous d'obus et passer des jours et des nuits isolé dans le précaire abri d'un entonnoir à moitié rempli d'une eau puante et gluante !
L'infanterie française a triomphé de cet infernal déchaînement de fureur et d'horreur qui a dépassé tout ce que l'imagination humaine a jamais pu concevoir ; elle a généreusement supporté sans faiblesse ce débordement inouï de longues et dures misères ; elle l'a supporté sans cesser "d'avoir le sourire". Elle est plus que jamais la grande "REINE DES BATAILLES".
Ô vous tous qui la rencontrez, en marche, sur votre chemin, arrêtez vos pas et inclinez-vous. C'est L'ÂME DE LA FRANCE qui passe dans sa noble et héroïque Royauté...
Général de Castelnau