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Crédit: Seb Leban pour le JDD

Le Journal du Dimanche : "Charles Amédée de Courson, l'aristocrate révolutionnaire"

09 mai 2023 Revue de presse
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PUGNACE Charles Amédée de Courson est à la tête des parlementaires qui vont tenter de faire tomber la réforme des retraites

C'est bien simple, il est devenu « l'homme du 8 juin », quasiment un héros pour la Nupes, le Rassem­blement national et... l'intersyndi­cale ! Quelle histoire ! Ce Charles­ là - ne pas confondre avec celui du 18 juin - est député centriste de la Marne depuis 1993. Né Simon du Buisson de Courson, le 2 avril 1952, sous le signe du Bélier, pré­nom Charles Amédée. 

 

Pour susciter la ferveur de ceux qui s'opposent à la retraite à 64 ans, il a défendu la motion de censure déposée au nom du groupe Liot [Libertés-indépendants-outre­mer et territoires, 20 députés] auquel il appartient et a bien failli faire tomber le gouverne­ment de Mme Borne et son 49-3 (il manquait 9 voix). Autant dire une quasi-victoire. Il aurait pu en rester là, mais non. Il a déposé une proposition de loi pour abroger la réforme déjà promulguée grâce à la niche parlementaire dont bénéficie son petit groupe. Rendez-vous le 8 juin dans l'hémicycle. Pour être approuvée, cette loi nécessite une majorité simple et non pas abso­lue comme l'exige une motion de censure. Suspense ... On en est là. 


Cela fait longtemps que Charles Amédée de Courson, diplômé de l'Essec (sorti major) et de l'ENA, est un personnage hors normes, reconnu comme tel par ses pairs à l'ENA et par ses collègues à l'Assemblée nationale. Autant pour ses qualités que pour ses défauts. « Mais il n'a pas ceux de tout le monde », précise son condisciple Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères. 


Charles de Courson reçoit à l'Assemblée nationale. Rendez-vous à 9 heures. On ne se risquerait pas à arriver en retard. Il vous attend au rez-de-chaussée de l'immeuble, vous conduit vers son bureau d'allure monacale. Dans les couloirs, on croise des collègues ; tout sourire, il peut mesurer sa popularité. Son assistante n'est pas arrivée. Il sort son téléphone: « Solène, où êtes­-vous ? Il est 9 h 02 ... » « Je suis en bas, monsieur... »« Vous serez pardonnée pour cette fois », dit-il en riant. Il plai­sante, bien sûr, mais tout de même, ça vous campe un caractère. 


Ce qui frappe chez lui, c'est son côté immuable. Toujours coiffé tel un premier communiant de l'entre­deux-guerres. Raie sur le côté, mèche plaquée, le poil grisonne un peu. Derrière ses lunettes sans monture, le regard se fait direct, aigu, espiègle, ne vous lâche pas. Un look de conservateur anglais, pull en V, cravaté, la silhouette demeure bien adolescente. Reflet d'un appétit frugal ou d'une physiologie qui lui fait brûler ses réserves car il ne s'arrête jamais. Le repos l'épuise, paraît-il. Prend-il tout de même des vacances ? « Oui, trois semaines l'été en août. » Il part à l'étranger, toujours loin, et seul. En Corée, au Japon, en Israël, libre donc. Volontiers il clame : « Je n'ai ni épouse ni enfant ni maîtresse. » Célibataire donc. Il se voue corps et âme à sa circonscrip­tion de la Marne, héritée de son père, Aymar de Courson, grand résistant, maire de Vanault-les-Dames (leur Colombey), décédé en 1985. Pour lui, un chagrin irréparable. Il a repris la grande maison familiale et entrepris des travaux avec sa sœur. « On se ruine », dit-il.

« Il aimait l'armée, l'ordre, la rigueur... » Raoul Briet, ami et ancien collègue à la Cour des comptes

La circonscription regroupe 256 communes, dont la plus grande, Vitry-le-François, compte 11 000 habitants. Sa permanence y est sise près de la collégiale, rue de la Petite-Sainte. Une adresse parfaite pour ce croyant. La moyenne des autres tourne autour de 300 habitants, auxquels il rend visite chaque année. Il sillonne son territoire, conduit vite, beau­coup trop... Ses embardées l'ont rendu célèbre dans les campagnes. « Quand je fais des tonneaux, je n'ai pas peur. Il ne faut pas se contracter sinon on se fait mal. Moi, je n'ai jamais rien eu. Si un animal sur­git sur la route, il faut lui rentrer dedans. C'est en essayant de les éviter que les gens se tuent. » Tout de même, un gros sanglier c'est dangereux... « Je ne m'en suis fait qu'un. » Est-il chasseur ? « Il y a beaucoup de chevreuils, de cerfs, mais moi ce que j'aime, c'est la passée du soir en bordure d'étangs où l'on attend les canards ou les bécasses. » Son père, propriétaire de plusieurs étangs, était piscicul­teur. « Comme lui, j'aime les bois. Il en retardait toujours la coupe. » 
Un silence. Un rêve passe. 


Laissons ses amis parler de lui : « À l'ENA, à la Cour des comptes, il était le meilleur d'entre nous, le plus travailleur, le plus compétent qui savait tout sur tout, et toujours d'une gentillesse parfaite. C'est un ami très proche, profondément croyant. En 1981, il m'avait dit : sans mes convictions religieuses, j'aurais pu voter communiste », révèle Jean-Louis Bourlanges qui raconte aussi cette anecdote : « En arrivant à la Cour des comptes, Charles Amédée devait contrôler la SNCF avec une équipe. À ce titre, il avait reçu une carte de circulation gratuite. Eh bien, il l'avait renvoyée, poliment mais fermement. Non, il ne mangeait pas de ce pain-là. Quelques jours plus tard, son chef d'équipe l'avait convoqué pour le féliciter, lui dire combien ce geste l'honorait, certes, mais embarras­sait beaucoup ses collègues qui, eux, n'étaient pas opposés à en bénéfi­cier. » Gilles Carrez, député gaul­liste, qui l'a longtemps fréquenté à la commission des finances, où il fut président et rapporteur du budget, se souvient de leur pre­mière rencontre. « Il venait d'être élu comme moi, et je n'arrivais pas à trouver la dette dans le budget. Lui était déjà un virtuose. Je lui avais demandé des explications. C'était un excellent collègue qui aidait tout le monde à saisir les subtilités du budget, y compris les communistes. Il n'était pas sectaire. » 


Souvenir personnel, il était pour les journalistes un péda­gogue exceptionnel, disponible et toujours fort civil. Carrez ajoute : « Mais il est aussi un esprit contradictoire, parfois un peu buté. Il a toujours défendu l'équilibre des finances publiques, ce qui ne l'empêchait pas de proposer des amendements à 1 milliard d'euros. Lors de l'affaire de l'arbitrage Tapie, il y était d'abord favorable, et j'ai eu du mal à le convaincre que le Crédit lyonnais s'était mal comporté avec lui. Il ne voulait rien entendre. » 


Raoul Briet, son copain de chambrée à Coëtquidan, qui a aussi partagé son bureau à la Cour des comptes, témoigne de son sérieux. « Il aimait l'armée, l'ordre, la rigueur, mais avec un fond de tempérament anarchique et révolté. C'est quelqu'un qui n'a de pensée tiède sur rien. » Pour dire les choses, ses amis qui l'aiment regrettent certains changements de pied et ses sautes d'humeur : « C'est lui qui a écrit le programme de Valérie Pécresse, avec Hervé Morin. Il jugeait que la retraite à 65 ans était une bonne idée », soupire Philippe Vigier, député d'Eure-et-Loir. L'ex-ministre cen­triste Pierre Méhaignerie dit son estime pour lui : « Pour moi, il est un député modèle. À la commission des finances, il faisait son travail de contre-pouvoir. Les ministres tremblaient devant ses questions. Il nous apprenait comment mieux gérer les comptes publics. Mais en ce moment, je le trouve trop dur avec Macron. » Lui rétorque: « Pierre, je l'aime beaucoup, mais moi je le trouvais toujours trop mou sur tout. » 


Bourlanges reprend : « Pour moi, son défaut principal est d'être un chasseur d'absolu. Il ne hiérarchise pas les priorités. Il s'est enfermé dans son rôle de cassandre. Ses ailes de pureté l'empêchent de voler. Un garçon comme lui aurait dû être ministre, mais il ne l'a jamais été parce que c'est quelqu'un, comme Mendès France, qui ne peut pas dire oui parce que ce serait se compromettre. Or, la question aujourd'hui pour un élu n'est pas de critiquer, ce qui est trop facile, mais de se demander qui on peut bien soutenir en conscience... » À tous ceux-là, Charles de Courson répond : « Il y a des choses qui me révoltent : l'injus­tice, la malhonnêteté autant poli­tique que financière... Je ne suis pas de gauche mais j'ai une fibre sociale, sans tomber dans l'assistanat. » 

« Ses ailes de pureté l'empêchent de voler » Pierre Méhaignerie

Il dit avoir beaucoup d'amis au Parlement « Des gens de tous bords viennent me demander conseil, y compris des gens de la minorité présidentielle. Quand je croise Mme Rousseau, je lui fais toujours un baisemain. J'en ai fait un aussi à Mathilde Panat qui m'a dit « vous êtes bien le premier à être courtois avec moi » . Cela vous étonnera, il m'arrive de déjeuner avec mes col­lègues communistes Fabien Roussel ou André Chassaigne. » 

 

Tout de même, comment, lui qui était pour les 65 ans, a-t-il pu faire voter une motion de censure et faire alliance avec la Nupes et le RN ? Réponse : « Lorsqu'on veut arracher un vote, et que pour ce faire on utilise des moyens de procédure, on méprise le Parlement et on délé­gitime les institutions, il faut savoir se lever contre cette injustice-là. J'ai pris mes responsabilités. Le gou­vernement se targue de sa légiti­mité démocratique, mais il est en réalité minoritaire. On ne peut pas gouverner un pays de façon aussi jupitérienne, voire hégélienne, avec une base sociale aussi étroite. » 

 

Pourquoi cette référence à Hegel ? « Pour Hegel, l'État est l'incarnation de la raison dans l'Histoire. Et ceux qui sont à sa tête croient pouvoir imposer leurs volon­tés puisqu'ils incarnent la raison. Pour moi, ce n'est pas la démocratie. Le président Macron s'inscrit dans cette logique, cette pensée verticale qui veut qu'il n'y ait qu'un type qui pense tout en haut. » Il poursuit : « Moi, je suis du côté de Tocqueville, qui considère qu'il faut construire la société par le bas, c'est-à-dire l'in­verse de la royauté absolue. Pour lui, la richesse d'un peuple tient dans ses contre-pouvoirs, le Parlement, les syndicats, les communautés ter­ritoriales, les réseaux associatifs... Tout ce qu'a raté Macron. » 


Alors que les violences se multi­plient sur le territoire, que la police est débordée, attaquée, blessée par des manifestants, je lui rappelle qu'en 2019 il était contre la loi anticasseurs, au nom des libertés publiques. Il s'était exclamé dans l'hémicycle : « Où en sommes-nous, mes chers collègues ? C'est la dérive complète, on se croit revenu sous le régime de Vichy. Mon père a été proscrit, poursuivi par la police de Vichy, qualifié de terroriste alors qu'il était patriote. Quand vous tou­chez aux libertés publiques, il faut faire attention ? » Je l'interroge: « Si le gouvernement présentait une nouvelle loi anticasseurs, voteriez ­vous toujours contre ? » Charles de Courson s'arrête, me fixe droit dans les yeux. Sa voix s'enroue. Il est au bord des larmes. Il raconte : « Mon grand-père maternel, Léonel de Moustier, député du Doubs depuis 1928, président du conseil départemental à partir de 1935, a été le seul député de droite à voter contre les pleins pouvoirs à Pétain. La veille, il siégeait à la commis­sion de la réforme constitutionnelle. Laval l'attendait à la sortie. "Mon­sieur le marquis, vous ne pouvez pas vous y opposer" et il l'a menacé dans ses intérêts industriels s'il persistait dans son intention de voter contre. Réponse de mon grand-père : "Quel que soit le coût pour moi, et mes ouvriers, je ne céderai pas" et il avait tourné les talons. En août 1943, il a été arrêté par la Gestapo. Trois cents gendarmes sont arrivés chez lui. Ma grand-mère, princesse de Ligne, lui demandait : "Léa, mais que font tous ces gens chez nous ?" Elle parlait tour à tour allemand, anglais, français. Mon grand-père a été embarqué avec deux de ses fils. Il a été emprisonné pendant six mois à Besançon. Il recevait des gens dans sa cellule. Puis il a été envoyé à Compiègne en camp de transit, avant d'être déporté en Allemagne au camp de Neuengamme où il est mort en mars 1945. Le camp a été libéré un mois plus tard. » 
« Parce que ses fils étaient résis­tants, ma grand-mère paternelle, a été arrêtée en juillet 1943 par la Gestapo, emprisonnée à Alençon, puis à Rouen avant d'être déportée à Ravensbrück où elle est morte en janvier 1945. Elle était avec Gene­viève de Gaulle. Mon père appar­tenait au réseau Prosper. Il faisait sauter des trains allemands dans la vallée de la Maurienne. Trois cents de ses camarades ont été fusillés par la Gestapo. Lui s'est enfui. Les Allemands l'ont retrouvé, arrêté, mais il a pu s'évader au bout de trois jours. Le Débarquement était en cours.» 


Sa voix est de plus en plus enrouée. Je l'interroge : « Cette histoire continue-t-elle à marquer votre vie au plus profond ? » Il me répond : « Lorsque j'ai été élu en 1993, j'étais très jeune. Un journaliste m'a demandé pourquoi je m'enga­geais en politique. Je lui ai répondu "suivez-moi". Je suis allé aux Quatre colonnes, devant le monument aux morts, et lui ai montré le nom de mon grand-père, Léonel de Moustier. Vous comprenez qu'avec ce passé toutes les critiques qui peuvent pleuvoir sur moi ne me touchent pas. J'agis comme bon me semble. » Croit-il que le 8 juin sa loi, qui annulerait la réforme, pour­rait être votée ? « Nous avons en théorie vingt-quatre heures pour cela. En réalité, treize heures dans l'hémicycle. Si le vote est organisé, elle passera. Mais le gouverne­ment et ceux qui sont favorables à la réforme des 64 ans peuvent faire de l'obstruction, déposer des centaines d'amendements, faire traîner les choses, et dans ce cas­ là, nous aurons échoué. » Si la loi est votée, il restera celui qui a guillotiné la réforme. L'un de ses ancêtres, Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau avait voté la mort du roi en 1793.

 

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Par Catherine Nay

09/05/2023




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