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ENS : "Former aux médias, c’est donner des clés « pour participer à la diffusion des savoirs et à la compréhension critique du monde »"
Entretien avec Sophie de Ravinel et Bartholomé Girard.
Un programme inédit à l’interface du journalisme et de la pratique de recherche. Voilà ce que propose la nouvelle formation « Médias et recherche » proposée par l’ENS depuis septembre 2024. Cette formation est ouverte à toute étudiante et tout étudiant inscrit à l'ENS, que ce soit au Diplôme de l'ENS (DENS), dans un Master ou en Doctorat. Sophie de Ravinel (journaliste politique) et Bartholomé Girard (enseignant de journalisme à l'ENS et à la Sorbonne Nouvelle, ex-journaliste à Canal+), les deux responsables pédagogiques de la formation, convaincus « qu’une coopération entre chercheurs et journalistes est fructueuse pour la diffusion de la connaissance et la démocratie », voient dans ce nouvel enseignement l’occasion de consolider le lien entre le monde des médias et celui de la recherche.
Sophie de Ravinel et Bartholomé Girard
En tant que journaliste, pouvez-vous nous donner votre vision sur l’initiative de la nouvelle formation « Médias et recherche » proposée par l’ENS ?
Sophie de Ravinel : Cette mineure est une initiative originale. Elle vise à créer du lien, à construire des ponts ou du moins des passerelles, peut-être seulement à poser des câbles de funambule, entre le monde des médias et celui de la recherche. Toujours avec une conviction en guise de ligne de vie, surtout ces temps-ci : le lien ne doit pas être rompu mais renforcé, des deux côtés, pour le bien de la science et celui de la démocratie.
En quoi les cours pratiques de journalisme s’inscrivent-ils dans une méthode proche du monde de la recherche ?
Bartholomé Girard : La mineure Médias et recherche a été conçue pour des étudiant dont la formation principale est assurée par des chercheurs et chercheuses ; et de fait, nombre de nos cours font pratiquer des formes de journalisme en lien avec la recherche. Par exemple, le cours de journalisme scientifique vise à faire travailler les étudiant sur la médiation des savoirs scientifiques. De même, le cours de journalisme d’investigation les amène à chercher et à analyser des sources, ainsi qu’à s’interroger sur les enjeux démocratiques du journalisme d’enquête. Cette distance critique sur les méthodes et les outils des journalistes, qui fait également partie du cours « Panorama historique » assuré par une philosophe, un historien et un journaliste, est un des aspects essentiels de la mineure Médias et recherche, et qui entre en écho avec le monde de la recherche.
Quels enseignements proposez-vous aux étudiantes et étudiants ? Pourriez-vous décrire comment s’organise un « atelier d’écriture journalistique » ?
Bartholomé Girard : Il y a deux types d'enseignements au sein de la mineure Médias et recherche. D’un côté, des cours sur l’histoire du journalisme, l’économie des médias ou encore les enjeux numériques ont à cœur de faire découvrir le monde des médias et de proposer une réflexion sur les contours et les pratiques journalistiques. De l’autre, des cours dédiés au journalisme scientifique et au journalisme d’investigation, proposés à la fois en cours théoriques et en ateliers, ont pour objectif de montrer à quoi ressemble concrètement le métier de journaliste. Les ateliers d’écriture, comme celui que j’anime tout au long de l’année, sont structurés autour de projets et d’un calendrier soutenu de rendus d’articles. Il faut écrire, écrire, et encore écrire, pour affûter sa plume et affirmer son style.
Dans le contexte actuel (désinformation, intelligence artificielle, médias et dépendance…) quels sont les grands défis d’une telle formation ?
Sophie de Ravinel : Nous sommes à un moment très particulier, celui d’une révolution technologique dont les influences sur la diffusion de l’information, ou son détournement, sont massives. Elles ne sont pas positives ou négatives en elles-mêmes, mais doivent être abordées avec quelques clés que les différents cours et les ateliers pratiques du second semestre peuvent apporter : historiques et politiques, économiques, technologiques. Aiguiser son sens critique pour préserver l’indépendance et le pluralisme, comprendre les enjeux parfois masqués des choix posés, mesurer les usages possibles des nouveaux supports, connaitre les collaborations possibles, autant de clefs précieuses à posséder, quelle que soit l’activité professionnelle suivie par la suite.
Que peut apporter le journalisme au monde de la recherche, et inversement ?
Sophie de Ravinel : Le journalisme n’a pas pour objet de servir les scientifiques, sinon il s’agit de communication.
Un dialogue libre et ouvert, pourtant, nourrit les deux parties. Chaque scientifique a pour vocation de faire progresser sa science. Or, pour faire avancer une recherche, elle doit être financée, expliquée, comprise. C’est la science abordée sous son angle linguistique. Il existe dans ce domaine un langage commun à entretenir, des espaces de rencontre à préserver. Les médias constituent un de ces espaces, avec ses formats particuliers. Maitriser cet écosystème permet de passer de redoutables obstacles.
Par ailleurs, en science, l’expérience cruciale et la démonstration terminale n’existent pas. La mise en débat, publique, parfois bousculée, peut conduire, on l’a vu, à la terrible dérive de sa judiciarisation. Mais elle peut faire émerger d’autres angles, un autre regard.
En outre, nous sommes convaincus qu’une coopération entre chercheurs et journalistes est fructueuse pour la diffusion de la connaissance et la démocratie, malgré les différences de méthodes, d’objectifs de calendrier… Le seul exemple du journalisme de données l’illustre de façon évidente aujourd’hui – sur l’environnement, les crises géopolitiques… - mais il existe bien d’autres domaines – investigation, politique, débats d’idées - susceptibles d’être irrigués par les liens avec la recherche.
Comment donner le goût du journalisme à de futurs étudiants ?
Bartholomé Girard : En leur montrant comment, en son cœur, le journalisme est une école de la curiosité. Être journaliste, c’est aller sur le terrain, rencontrer les gens, explorer. C’est aussi un métier où l’apprentissage est constant : il faut être capable de mobiliser en peu de temps des connaissances pointues sur un sujet précis, d’analyser ces informations et de les traduire en un récit clair et accessible. Mais il ne s’agit pas seulement de rapporter des informations, mais aussi de les interroger de façon critique. De fait, les médias structurent notre rapport au réel. Former de futurs journalistes, c’est leur donner les clés pour devenir des acteurs responsables de cette dynamique, capables de participer à la diffusion des savoirs et à la compréhension critique du monde.
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Publié le 9 janvier 2025