News

Le Figaro : "Fabrice Amédéo et don Édouard de Vregille : «Au cœur de l’océan, une expérience de communion avec Dieu»"

17 avril 2025 Revue de presse
Vue 59 fois

ENTRETIEN - De retour du Vendée Globe, le marin et ancien journaliste au Figaro partage l’expérience de Dieu qu’il a vécue pendant sa traversée, avec don Édouard de Vregille, supérieur du séminaire de la communauté Saint-Martin.

Don Édouard de Vregille et Fabrice Amédéo Paul Delort / Paul Delort pour Le Figaro Magaz  

LE FIGARO. – Ce 3e Vendée Globe ne s’est pas déroulé comme les précédents… Vous en êtes revenu différent ?

Fabrice AMÉDÉO. – Oui ! Cela commence dans l’océan Indien. À ce moment de ma course, je n’ai pas du tout confiance en mon bateau – et en réalité pas confiance en moi non plus. Les mers du Sud, c’est un combat de boxe : le combat d’une machine face à la nature, d’un homme contre lui-même et contre les éléments. Les tempêtes se succèdent. En mer, on développe un autre état d’esprit. J’ai développé une forme de superstition… J’avais remarqué que les mauvaises pensées – par exemple se réjouir des difficultés d’un concurrent – déclenchent des choses négatives sur le bateau ! Petit à petit s’est introduit comme une relation primitive aux éléments. Le sentiment que quelqu’un – l’océan – t’en veut ou bien t’accueille, selon ce que tu fais. Et là, j’ai commencé à prier.

Mais comment prie-t-on quand on n’a jamais prié ? Vous n’étiez pas croyant, ni pratiquant ?

F. A. – Oh non, j’allais – de temps en temps – à la messe à Noël, voilà tout. Mais je suis allé au catéchisme enfant. Je me souvenais du Je vous salue Marie. J’ai commencé à prier la Vierge Marie, calé dans ma cabine, tous les jours. Je demandais la protection pour mon bateau, pour les miens.

Peut-on ici parler de foi ?

F. A. –Je ne dirais pas que je suis croyant à ce moment de la course. Mais j’instaure un rendez-vous intérieur, et il me fait du bien.

Don Édouard de Vregille. – On perçoit alors en Fabrice le rapport émergent à quelque chose qui le dépasse, la présence d’une force à laquelle il peut se raccrocher quand les siennes lui font défaut. Il s’ouvre à la transcendance. Il pressent une forme de justice immanente. Il se pose la question du bien et du mal. Quelques jours après Noël, il s’adresse à la Vierge Marie qui nous donne son Fils et nous conduit à Lui.

Et si, comme c’est le cas de beaucoup de contemporains, vous n’aviez jamais été au catéchisme, ne connaissiez aucune prière, n’aviez pas grandi dans la culture chrétienne…

Don É. V. – La culture chrétienne est essentielle, mais les événements que Dieu place sur notre chemin nous guident également. Comme cette statue de la Vierge noire qui est arrivée dans le bateau de Fabrice !

 

F. A. – Oui, avec le recul, je vois les étapes qui ont précédé la véritable rencontre, la manière délicate dont le chemin a été préparé. La veille du départ, une messe était organisée pour les skippers. Je ne me sentais pas concerné mais ai « délégué » une jeune femme de mon équipe. C’est ainsi que le père Florent Millet, recteur du sanctuaire de Rocamadour – depuis des siècles, les marins confient leurs bateaux à la Vierge noire de Rocamadour – est passé le lendemain matin, au milieu de l’agitation générale, bénir mon bateau, et m’a offert une statuette de la Vierge que l’on a rivée dans ma cabine. « Cela ne peut pas faire de mal », ai-je alors pensé. C’est ainsi que je me suis tourné vers elle au milieu des mers du Sud. Naturellement…

 

Don É. V. – Non, surnaturellement !

Vous priez donc en quelque sorte sans foi. Et puis ? À quel moment la prière devient-elle une prière à une personne, à Dieu ?

F. A. – Nous sommes dans la nuit du 1er janvier 2025. Je navigue pas très loin de la Nouvelle-Zélande, pile de l’autre côté de la France par rapport à la terre. C’est un moment particulièrement dur. Tandis que je prie, donc, mon attention est attirée par un bruit, je sors sur le pont. Au-dessus de moi, un grand dôme vert lumineux, magnifique. Je plaisante en moi-même : ah, ce doit être cela, se sentir élu ! Et je redescends poursuivre ma prière. Puis remonte régler mes voiles. Il me semble alors que le grand dôme descend vers moi. Il me fait penser à un œil, il m’enveloppe. Ce grand arc de cercle, c’est une sublime aurore australe ! J’ai connu plusieurs grandioses couchers de soleil en mer : il m’est arrivé d’avoir l’impression de toucher le cosmos. Je me sentais jusqu’alors spinoziste, j’avais l’idée d’un Dieu immanent. Mais ce que je vis là est d’une tout autre nature, c’est un moment de communion intense. Pour la première fois de ma vie, je me sens protégé, inondé d’amour. L’angoisse que je ressens depuis l’entrée dans l’océan Indien disparaît. Elle n’est plus revenue.

 

Don É. V. – Cette infusion d’amour dit l’authenticité de l’expérience divine. C’est un très beau cadeau parce que la manière dont on a été regardé, nous permet, ensuite, de regarder les autres. Dans cette angoisse qui s’en va au milieu de la nuit – la nuit de ses forces –, je vois, aussi, une part de l’hubris du marin, sa volonté de puissance qui, elle aussi, s’abandonne, désormais, à plus grand que lui. Jésus le dit : sans moi, vous ne pouvez rien faire. Cette confiance qui naît du fait que je ne serai plus jamais seul, c’est un effet de la grâce, à qui la prière a ouvert une brèche, un chemin.

 

F. A. – C’est cela, je me suis senti accompagné, pour toujours.

Fabrice Amédéo Paul Delort pour Le Figaro Magaz  

Et après ? Que fait-on après avoir rencontré Dieu ?

F. A. –Je me suis tout de suite tourné vers le père Florent Millet. Sa réponse, par texto, au milieu des mers, a été pour moi un deuxième envahissement de joie : « J’y vois le signe du manteau de Marie qui descend pour t’envelopper, te protéger », m’a-t-il écrit.

 

Don É. V. – Il faut noter que nous sommes alors le 1er janvier et – Fabrice ne le sait pas alors – c’est la fête de Marie ! Aider les catéchumènes ou les « recommençants » à nommer ce qu’ils vivent est essentiel. Ceux qui sont nés dans un contexte chrétien puisent dans la tradition de l’Église des trésors. Quant aux autres… Ils font parfois des rêves qui les éclairent, ils ont des révélations intérieures, des visions, des images. Ils font des rencontres. Dieu dépose en eux un désir, une attraction. Il n’est pas rare, par exemple, que les enfants poussent, sans que l’on sache vraiment pourquoi, les adultes vers une Église, un lieu de prière.

 

F. A. –Il y a une autre chose que je dois dire…

Ah ?

F. A. – Depuis le début de la course, je ressassais de la rancune, une haine indicible, lancinante, envahissante. Les problèmes techniques de mon bateau me renvoyaient aux déconvenues que j’avais rencontrées avec une partie de mon équipe, en amont de la course : certains m’ont trahi, volé, quand je leur faisais confiance. Or, après cette nuit du 1er janvier, j’ai continué à prier, bien sûr, mais différemment. La prière de superstition est devenue prière d’adhésion ; prière pour remercier, et pour demander toujours, mais plus seulement pour moi. J’ai prié pour mes concurrents, et j’ai demandé à la Vierge Marie de devenir un homme meilleur. Un meilleur marin, un meilleur mari. Et puis un jour, après le cap Horn, dans la remontée de l’Atlantique, je me suis rendu compte que je ne ressentais plus du tout de haine.

 

Don É. V. – On reconnaît l’Esprit à ses fruits : parmi eux, la paix, mais aussi la miséricorde, la magnanimité, la mansuétude. Fabrice est en quelque sorte descendu de cheval, pour laisser entrer la grâce. Il a touché sa fragilité. Car Dieu ne peut sauver s’il n’y a pas en nous le besoin d’être sauvé. Un pauvre crie, Dieu répond.

Qu’est-ce que la conversion a changé dans votre vie ?

F. A. – Les mots d’un marin indonésien, sur le cargo qui m’a sauvé la vie en 2022, me reviennent à l’esprit. « Que ta seconde vie soit belle », m’avait-il lancé en me serrant dans ses bras. Aujourd’hui, en Dieu, je peux être un nouvel homme.

Concrètement, cela donne quoi ?

F. A. – Je prends les événements différemment. Actuellement, je démarche mes partenaires financiers, dans un contexte économique très tendu. Je ne sais pas si je vais réussir ou échouer à les convaincre. Je déploie beaucoup d’énergie, mais je suis serein. J’ai confiance ! La vie, Dieu, a un projet pour moi, quelque chose de chouette !

 

Don É. V. – La confiance est au cœur de la foi. C’est très beau cette nouvelle manière d’être au monde. Un héros avance avec ses propres forces. Il a des défis à remporter, parfois seul contre tous, ou avec des alliés, qui peuvent devenir des adversaires. Mais le saint, lui, sait que tout concourt au bien de celui qui cherche Dieu, nous dit saint Paul…

Don Édouard de Vregille Paul Delort / Paul Delort pour Le Figaro Magaz  

Vous êtes donc devenu croyant, et pratiquant ?

F. A. – J’ai besoin d’une vie spirituelle, de façon impérative ; j’ai compris que la foi et la prière rendent heureux. Je veux vivre dans cet amour. Je n’ai pas raté une messe depuis mon retour – mais il est récent. J’y trouve l’émotion de la communion, le partage avec d’autres croyants – je pressens déjà combien il est important.

 

Don É. V. – Dieu nous façonne jour après jour, année après année, je le vois sans cesse : on change vraiment. Pour durer dans la foi, et dans le combat spirituel, nous avons besoin de la parole de Dieu, et des sacrements.

À travers les siècles, beaucoup de convertis ont évoqué l’incompréhension de leur entourage.

F. A. –Pour l’instant, je vais à la messe seul, mais mes filles m’assurent qu’elles viendront !

 

Don É. V. – Je rêvais de rencontrer un marin croyant et d’organiser une rencontre avec nos séminaristes… Et c’est fait ! Fabrice, reviens quand tu veux, nous t’attendons.

 

Lire l'article sur www.lefigaro.fr

 

Par Laurence de Charette

Publié le 17 avril 2025