News

Le Figaro : "«J’ai une espérance ancrée extrêmement forte, au nom de ma foi»: Hubert de Boisredon, entrepreneur en quête de sens"

19 mai 2024 Revue de presse
Vue 262 fois

PORTRAIT - À la tête d’Armor Group depuis vingt ans, le dirigeant nantais, mû par une foi profonde, défend des choix éthiques et écologiques face aux impératifs de compétitivité.

Hubert de Boisredon, directeur général d’Armor Group. OIOO studio  

Dans la famille Boisredon, je demande le père. Hubert, 59 ans. «Vous savez, mon fils a déjà eu une pleine page dans votre journal!» À lui désormais de savourer son heure de gloire. Aucune once de jalousie ne semble se dessiner derrière cette sortie introductive. Au contraire, c’est avec des yeux remplis de fierté que le directeur général d’Armor Group entame la discussion par un chapitre familial. Depuis le siège nantais de l’entreprise industrielle internationale, il évoque son petit-fils, ses deux neveux accueillis pendant quinze ans, et bien sûr ses quatre enfants. Tous plus brillants les uns que les autres.

 

«On ne les a pas poussés pour être des cracks, on a tenu à leur donner le plus d’amour et un certain équilibre», souligne Hubert de Boisredon. Une philosophie que l’entrepreneur applique lui-même dans tous les domaines de sa vie. Le succès et la réussite, oui. Mais pour quoi faire? La question le taraude dès la sortie de son bac. Après une expérience spirituelle forte où le fervent catholique qu’il est découvre qu’il est aimé inconditionnellement de Dieu, il opère une première bifurcation. À Ginette, il quitte math spé pour rejoindre une prépa commerce. «On m’avait dit de faire math sup car c’était le meilleur…» Il intègre ensuite HEC et part étudier à New York.

«Le but de l’entreprise est de maximiser son profit pour ses actionnaires», lit-il sur la première page d’un manuel. Nouvelle crise d’angoisse. «Est-ce que le but de ma vie doit être de maximiser le profit?» Ni une, ni deux, le voici en route chez des religieuses du Bronx où il rencontre Mère Teresa. La fin de son séjour américain se traduit par des journées improbables. Service de la soupe populaire et visites de jeunes malades du sida, puis cours de finance du côté de Wall Street. De retour en France, l’étudiant érudit aurait pu poursuivre avec un service militaire, comme le suggérait la tradition familiale. Puis rentrer dans une banque, à l’instar de son aïeul, un illustre banquier sous Napoléon III. Mais «rien dans ma vie ne s’est passé comme programmé». Il part au Chili lancer une banque de microcrédit pour aider les plus pauvres. Il y fait la connaissance de sa future femme. Des larmes de tendresse coulent à son évocation.

«Un vrai talent de visionnaire»

En mars, les tourtereaux sont retournés dans le pays de leur romance. Ils y ont retrouvé leurs amis, des plus aisés aux plus démunis. L’influent directeur a également présenté son premier livre traduit en espagnol (1). Les Éditions Mame lui ont donné l’occasion de s’adonner à nouveau à l’écriture. Dans Déserter ou s’engager? Lettre aux jeunes qui veulent changer le monde, sorti en septembre, celui qui n’avait pas fait de voyage intercontinental depuis quatre ans a été invité à commenter le discours des jeunes diplômés d’AgroParisTech en 2022. Ces derniers avaient dénoncé les ravages écologiques auxquels leur formation contribuait.

 

À chaud, cet admirateur du pape François avait trouvé cette scène choquante avant d’évoluer. «Est-ce que ma quête de sens ne m’a pas poussé moi-même du système en partant au Chili?», s’est-il interrogé. «Mais dans un second temps, il est intéressant de transcrire cela dans des responsabilités qui permettent d’orienter l’économie vers plus d’écologie.» Il tente lui-même de le faire avec Armor et ses 2500 salariés. «C’est une entreprise normale qui fabrique de l’encre ou des consommables. Ce n’est pas forcément très écologique au point de départ. C’est passionnant d’être au cœur du système en essayant de le faire évoluer.»

Après avoir redressé le groupe qu’il pilote depuis vingt ans, au point de racheter il y a deux ans l’un de ses concurrents américains, le PDG décide de consacrer un tiers du résultat pour soutenir notamment des activités engagées, comme la collecte de cartouches recyclées. «Cette tension entre générer du profit et vivre un engagement écologique et social, il faut l’accepter. Elle n’est pas facile mais bénéfique.» Déjà dans les années 2000, lorsqu’il commande à Hongkong l’une des trois divisions du groupe chimique Rhodia, il défend des choix éthiques face aux impératifs de compétitivité. «Il a un vrai talent de visionnaire», observe Wouaïd Nouri, directeur administratif et financier chez Armor à propos de son «n+1», qu’il avait connu chez Rhodia avant de se faire débaucher.

Au nom de la foi

Iara Le Carbonnier, assistante de direction, apprécie elle aussi le «management de confiance» de son chef: «Ses actions de directeur, de personnage public ou de famille sont vraiment cohérentes.» Pour garder les pieds sur terre, le dirigeant peut compter sur Louis Faure. De leur amitié intergénérationnelle est né le cabinet de conseil Eotekum, dont l’une des activités consiste à s’aider mutuellement pour incarner un leadership aligné avec ses valeurs.

 

Lorsque les deux hommes se voient, c’est toujours au cours d’un goûter: «Hubert a une affection particulière pour les flans», confie avec humour son complice trentenaire. Une anecdote assumée par le gourmand, qui préfère les gâteaux sucrés aux gibiers salés qu’il chasse sur son temps libre. «Comme on dit, une joie se célèbre par un bon repas. Et lors d’un échec, il faut reprendre des forces», ironise son épouse Marianne. Car de difficultés, il en est aussi question avec la tentative de lancement d’une solution innovante photovoltaïque. Hubert de Boisredon regrette de ne pas avoir été assez soutenu. En dépit de sa sensibilité jésuite, il dit les choses. Il n’hésite pas non plus à étriller publiquement les décorations multicolores de Noël de sa ville, quitte à s’en expliquer auprès de la maire de Nantes par téléphone.

Ses idéaux ne font pas de lui un bisounours. Ou un utopiste béat. «Je pense que l’on va vers des temps difficiles, sociaux, internationaux, écologiques avec des crises qui vont s’accentuer. Mais au fond de moi-même j’ai une espérance ancrée extrêmement forte, au nom de ma foi», termine avec réalisme ce patron croyant.

 

Lire l'article sur www.lefigaro.fr

 

Par Laurène Trillard

Publié le 19 mai 2024