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Le Figaro : "«Je ne pouvais plus mentir» : Thibault de Montaigu, par la grâce du père"

13 novembre 2024 Revue de presse
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PORTRAIT - L’auteur de Cœur vient de remporter l’Interallié. Une manière de confirmer ses talents d’écrivain, déjà salués au moment de la parution de La Grâce mais aussi, pour lui, l’impression de faire enfin partie de la famille Gallimard, dont est issue sa mère.

Le sujet du dernier livre de Thibault de Montaigu s’est imposé comme une évidence : une recherche fouillée sur sa filiation paternelle. BERTRAND GUAY / AFP  

« En recevant le prix Interallié , je pense au couloir sombre, à la moquette verte, au premier étage de la maison de campagne de mon grand-père, Claude Gallimard à Pressagny. J’y passais ma vie quand j’étais adolescent, à une époque où j’étais mal dans ma peau. Il y avait là toute la collection “Folio” des années 1970, depuis les débuts. Les livres de Michel Déon, Félicien Marceau, Antoine Blondin qui ont tous eu l’Interallié et ont nourri mon imaginaire. Ces gens-là, c’est un peu ma famille originelle. Et recevoir ce prix, c’est comme si je m’inscrivais dans cette famille. C’est très émouvant pour moi. » Thibault de Montaigu marque une pause et ajoute : « Aujourd’hui, j’ai une pensée émue pour mon père, mais aussi pour Claude (Claude Gallimard), Simone (Gallimard, sa mère), Gaston Gallimard (son arrière-grand-père). J’ai l’impression enfin de faire partie de cette famille. Je suis devenu écrivain. »

 

Hier après-midi, en sortant du déjeuner qui a réuni les membres du jury du prix Interallié, présidé par Jean-Marie Rouart, chez Lasserre, Thibault de Montaigu ne cachait pas son émotion de recevoir ce prix pour son dernier roman, Cœur, paru chez Albin Michel. 

 

Et reconnaissait de manière implicite que, à travers sa quête du père, Emmanuel Tassin de Montaigu, pour qui il a écrit ce livre, cette enquête familiale magnifique et tendre, il entendait aussi être reconnu par sa famille maternelle… cette famille maternelle, où l’on regardait, le vendredi soir, dans la maison de campagne familiale « Apostrophes » « comme la messe ». « Mes parents étaient un peu des divas, ils étaient très absents. Je voyais les écrivains comme des êtres adulés. Très jeune, quelque chose s’est passé dans ma psyché, dans ma vocation d’écrivain. »

« C’est ma faiblesse »

Drôle d’aveu. C’est vrai, depuis ses débuts, on attendait au tournant ce jeune garçon bien né, passé par les bonnes écoles des beaux quartiers — Henri IV, Sciences Po — ce journaliste (passé de Libé à ses débuts puis entre autres à Paris Match et L’Officiel) qui voulait investir, à 23 ans la scène littéraire, avec son premier roman Les anges brûlent (Fayard). Et il se souvient comme si c’était hier de cette phrase que lui lance Michel Polac, convaincu qu’il porte le nom « sacré » de Gallimard : « Thibault de Montaigu, quel pseudo ridicule ! »

 

Une pique dont il semble encore ressentir la brûlure comme une obligation « d’être encore plus à la hauteur ». Il poursuit : « C’est ma faiblesse, ma mère était fâchée avec ses frères et sœurs et j’ai longtemps eu l’impression d’être exclu d’un destin qui m’attendait. J’ai cherché toute ma vie à être à la hauteur des Gallimard. Cela m’a habité. »

 

Dans le petit milieu littéraire parisien, on pensait que, un jour ou l’autre, Thibault de Montaigu s’attaquerait à son histoire familiale. Mais côté maternel, donc. Après six romans, une carrière littéraire menée tambour battant, et un livre, La Grâce (Plon), paru en 2020, et qui l’a fait passer dans la cour des grands, il était temps. N’écrit-il pas, au détour d’une phrase, dans Cœur : « J’ai été d’emblée classé comme Gallimard, ma famille maternelle, non en raison de quelque aptitude littéraire mais plutôt en raison de cuisses vigoureuses et d’implantation capillaire. »

Recherche fouillée

Mais voilà, Montaigu, marqué par le départ de son père du foyer familial alors qu’il était un petit garçon, n’est pas allé où on l’attendait. Il s’est laissé porter vers d’autres rivages. Après avoir, au fil de ses précédents romans, évoqué le destin de personnalités fracassées, attirées par des astres sombres (l’alcool, la drogue, les excès de tous genres — « des garçons perdus, des antihéros qui souvent cherchent quelque chose », relève son éditrice Louise Danou, qui le connaît depuis ses débuts), le sujet de son dernier livre s’est imposé comme une évidence : une recherche fouillée sur sa filiation paternelle. 

 

Côté Montaigu, donc. Une enquête « imposée par les circonstances » comme « la dernière volonté » d’un père octogénaire qui, après avoir été un homme flamboyant, « une figure des Trente Glorieuses, avec un physique à la Maurice Ronet » auquel le petit Thibault aurait tant aimé ressembler, finit sa vie seul, aveugle et ruiné. Mais avec toujours dans la tête des rêves de grandeur. Il assigne ainsi à son fils une mission : enquêter sur son arrière-grand-père, Louis, mort au cours d’une charge de cavalerie — la dernière de l’histoire de France —, en 1914.

 

Au début, l’écrivain, occupé par d’autres projets, rechigne. Avant de s’y mettre et de pouvoir ainsi renouer avec ce père qui fut longtemps absent. Il se rend compte finalement que ce n’est pas lui qui fait un cadeau à son père mais l’inverse et qu’en menant ses recherches sur son aïeul, il prolonge ainsi d’autant la vie de son père, comme une Shéhérazade des temps modernes. 

Vie de zombie

Un roman bouleversant et sincère, « une lettre d’amour à son père et à ses enfants » qui interroge notamment sur le poids de l’histoire familiale. Avec, en filigrane, comme le relève encore son éditrice, « les questions de culpabilité et de rédemption qui hantent Thibault depuis toujours », lui qui ne cesse de se référer aux Confessions de Saint-Augustin, « un texte fondateur » pour lui.

 

Dans La Grâce, déjà, qui reçut en 2020 le prix de Flore, le quadragénaire, qui était parti sur les traces d’un oncle, Christian, qui avait décidé à 37 ans de devenir frère franciscain après avoir mené une vie dissolue, était subrepticement passé au « je ». Lui qui avait aussi dans sa jeunesse connu les excès, la drogue, l’alcool, une vie de zombie, avait écrit ce livre alors qu’il avait sombré dans une profonde dépression. Qu’il ne trouvait plus de sens à son existence. Jusqu’à cette nuit, où, dans la chapelle d’un monastère, cet athée soit touché par la grâce. À 37 ans, comme son oncle.

 

Un roman qu’il avait écrit alors qu’il habitait en Argentine (sa femme est originaire de ce pays et ses deux enfants sont argentins), dans la pampa, « à trois ou quatre heures de Buenos Aires, et à la main, éclairé par une chandelle », suite à une panne d’électricité. « Je me suis rendu compte à ce moment que je ne pouvais plus mentir. C’est comme si mon âme apparaissait sur le papier. » Et c’est ainsi que Thibault de Montaigu est enfin sorti de sa gangue. En laissant percer son âme et au nom des siens. Fidèle à cette phrase d’Oscar Wilde : « Les enfants commencent par aimer leurs parents ; devenus grands, ils les jugent ; quelquefois, ils leur pardonnent. »

Couverture Albin Michel  

 «Coeur» de Thibault de Montaigu, Albin Michel, 336 p., 21,90 €. 

 

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Par Anne Fulda

Publié le 13 novembre 2024