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Le Figaro : "Malestroit, de Jean de Saint-Cheron: sœur Tempête"

10 janvier 2025 Revue de presse
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CRITIQUE - L’auteur raconte le fabuleux destin d’une religieuse médaillée de la Résistance dont la vie fut émaillée de manifestations surnaturelles.

Légion d’honneur, croix de guerre avec palme : la République a reconnu les vertus héroïques de sœur Yvonne-Aimée de Jésus. communaute des augustines  

«Trop de miracles.» Les lecteurs ignorants des rigueurs inquisitoriales de la Sacrée Congrégation du Saint-Office seront étonnés d’apprendre qu’en 1960, c’est avec ces mots que le cardinal Ottaviani, un homme en rouge rangé parmi les durs, a classé le dossier de béatification d’Yvonne-Aimée de Jésus, une sœur augustine du monastère de Malestroit, dans le Morbihan, morte neuf ans auparavant. En lui accordant tour à tour la croix de guerre avec palme, la Légion d’honneur que lui a remis le général de Gaulle en personne, et la médaille de la Résistance, la République a reconnu ses vertus héroïques et sa sainteté laïque. Torturée par la Gestapo, sœur Tempête, qu’on dirait droit sortie de l’imagination d’un scénariste des studios Disney, s’était évadée de la prison du Cherche-Midi et avait continué le combat, recueillant 172 parachutistes et maquisards dans la clinique des chanoinesses de la Miséricorde dont elle était la supérieure.

 

Mais l’Église n’a pas encore daigné inscrire son nom au sanctoral, effrayée par les manifestations surnaturelles qui ont accompagné son existence: extases, stigmates, bilocations, sueurs de sang, dons des langues, émission de fleurs par la bouche… Ni médecin, ni théologien, ni exorciste, ni spécialiste du sentiment religieux: c’est en écrivain que Jean de Saint-Cheron s’est fait le raconteur de cette histoire désobligeante. De fait, Yvonne Beauvais a rendu un mauvais office aux prélats de son temps. Elle les a désobligés en menant l’existence d’une sainte de vitrail à l’âge du vernis à ongles et du moteur à réaction. Cette extravagance n’était pas accordée au souci des curés déniaisés qui luttaient pour que les fins terrestres passent avant les attentes eschatologiques. «Les miracles font peur. Les gens qui furent témoins de la résurrection de Lazare ont dû en garder un souvenir horrifié», écrivait Borges, que cite malicieusement Saint-Cheron.

Croire pour comprendre

Très habilement, l’écrivain ne s’extrait pas du troupeau rationaliste, sceptique et scientiste de ses contemporains. Il détaille le fabuleux destin de son héroïne, ses difficultés à faire accepter sa vocation religieuse, son dévouement aux pauvres, ses premiers miracles et son héroïsme tranquille sous l’Occupation avec la stupeur d’un carabin positiviste. Tant de corps dans ce corps, tant d’âmes dans cette âme, tant de vies dans cette vie… Ce qui donne une incroyable énergie de sens à Malestroit, un livre enquête tissé de restitutions romanesques. À suivre Saint-Cheron, on comprend avec Péguy que le surnaturel est lui-même charnel et avec Thomas d’Aquin que la grâce n’abolit pas la nature.

 

L’inexplicable bilocation, c’est-à-dire la présence simultanée d’une même personne en deux lieux distincts, s’entend de manière nouvelle lorsqu’on apprend à quel point la mère Yvonne-Aimée de Jésus a passé sa vie à se démultiplier pour secourir ceux qui n’avaient rien. Fidèle à l’inépuisable leçon d’Anselme de Cantorbéry, Jean de Saint-Cheron ne cherche pas à comprendre pour croire. Il veut croire pour comprendre.

Malestroit, de Jean de Saint-Cheron, Grasset, 216 pages, 20€. grasset  

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Par Sébastien Lapaque

 Publié le 10 janvier 2025