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Le Figaro : "Le succès de ces nouveaux influenceurs qui font aimer la France: «Il y a une dynamique de réenracinement»"

17 mai 2024 Revue de presse
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ENQUÊTE - Ils ne s'adressent pas qu'aux plus jeunes, ont en commun cet épicurisme à la française, et explosent les compteurs des réseaux sociaux. Suivis par des centaines de milliers d'internautes, ils clament leur amour pour la France.

Ces nouveaux influenceurs, amoureux de la France, réunis sur la terrasse du Figaro, à Paris. Olivier Coret pour Le Figaro Magazine

« On célèbre la France ! » Un godet de vin rouge à la main, une tranche de jambon au bout de la fourchette, Guillaume est ravi. Ici, on ne déjeune pas, on festoie. On ne passe pas à table, on s'assoit à un banquet. Plus de 300 personnes sont réunies dans cette vieille demeure de la région du Beaujolais. « Des éthylotests sont disponibles gratuitement. » Au micro, Pierre-Alexandre de Boisse, un des deux amis à l'origine du concept, prévient. Mais dans la salle, sa voix est déjà noyée dans le joyeux brouhaha des cris et chants des invités qui se sont rués sur la première des bouteilles servies, un morgon.

Géraud de la Tour et Pierre-Alexandre de Boisse, Le Canon Français. « Nous ne voulons pas devenir une annexe d'un parti politique. Demain, si le président de la République vient au banquet, il sera assis avec tout le monde. Chez nous, le notable s'assoit avec l'ouvrier. » Olivier Coret pour le Figaro Magazine

Les festins du canon français

« On accueille chaleureusement des journalistes aujourd'hui », alerte aussi l'organisateur, élevant la voix pour couvrir les quelques acclamations et nombreuses huées qui lui répondent. « Vous, Le Figaro, ça va, on vous aime bien », rassure un voisin de table, Yannis, un « gars du cru » venu de Cluny. « Là où il y a un gros château ? » questionne-t-on en face. « Ce sont les restes de la plus grande église d'Europe », enseigne notre voisin, pardonnant l'équivoque. Autour de ces immenses tablées, et malgré la fanfare et le fracas des écuelles, tout le monde se parle et se rencontre.

 

Le Canon Français organise de tels événements deux fois par mois dans toute la France. En un an, le concept a explosé. Depuis leur apparition sur les réseaux sociaux, les images de grands festins font le tour des plates-formes. D'après les deux amis, les listes d'attente sur leur événement sont aujourd'hui plus longues que celles des inscrits. Leur compte Instagram frôle la barre des 200.000 abonnés. Et il n'est désormais plus le seul.

 

En quelques années, plusieurs comptes de ce type ont submergé les réseaux sociaux. Leurs créateurs parlent de gastronomie, de mode, de voyage, d'art de vivre ou des trésors de l'architecture. Avec un point commun : célébrer le patrimoine et le terroir français en s'emparant paradoxalement de plates-formes qui prônent traditionnellement la mondialisation. Avec un succès notable ces derniers mois : la plupart ont atteint la barre des 100.000, 200.000 ou même 300.000 fidèles.

 

À grand renfort de courtes vidéos (des « reels » chez Instagram, des « TikTok » chez le réseau éponyme) et de stories (des vidéos éphémères de 24 heures), ces influenceurs d'un nouveau genre veulent redonner le goût du patrimoine. Les thématiques évoquées sont variées, mais les profils des abonnés similaires : le plus souvent des hommes (70 à 80% selon les comptes), âgés de 25 à 35 ans (45% en moyenne) et de 18 à 24 ans(25% en moyenne).

 

« Les jeunes veulent connaître l'histoire de l'église à côté de chez eux », explique en chuchotant Simon Vasseur, ou « Simon de la Garde du Patrimoine », qui fait découvrir la beauté de l'architecture française principalement sur Instagram. Perchés sur un balcon intérieur de l'église de la Madeleine, à Paris, nous l'observons réaliser une courte vidéo. « Je vais me filmer devant la mosaïque, c'est difficile d'incarner les contenus dans des monuments si grands, mais les abonnés aiment bien. » Le Christ en majesté y est représenté, barré d'une grande fissure. Au-dessus, la grande fresque de la coupole célèbre l'histoire mêlée de la France et du christianisme, nous explique Simon.

Yoann Collot, Dose de France. « Il y a un côté patriotique assumé dans mon contenu. Je ne vais pas faire de la pub pour les autres pays. Je suis français et je n'ai pas honte. » Olivier Coret pour le Figaro Magazine

Un certain ré-enracinement

Son compte a véritablement explosé à partir du mois de novembre dernier, passant de 50.000 abonnés à plus de 200.000 aujourd'hui. Le jeune homme publie régulièrement des vidéos léchées de cathédrales et de châteaux français. « Il y a une dynamique de réenracinement », avance-t-il pour expliquer ce phénomène, qui a trouvé un écho quand les jeunes ont enfin compris que, sur Instagram, « en parallèle de la culture bling-bling des influenceurs classiques, Paris est aussi cool que Dubaï et l'Aveyron que Miami ».

 

Devant sa liqueur de gentiane qu'il tient d'une formule dépoussiérée dans le grenier de son arrière-grand-père, Yoann Collot approuve. « Les gens sont parfois totalement en rupture avec leur terroir et ses traditions et se demandent qui ils sont et d'où ils viennent », analyse-t-il. Celui qui se fait appeler « Dose de France » sur les réseaux a grandi en banlieue parisienne avant de se pencher concrètement sur ses origines corréziennes.

 

« Mon arrière-grand-père était paysan, tout comme son père avant lui, et cela remonte jusqu'en 1600, où mon aïeul était “sonneur de cloches” »,selon un registre. Ce besoin d'enracinement, l'influenceur aux 170.000 abonnés l'illustre dans ses contenus, où il remet au goût du jour, avec un étonnant succès, des vieilles recettes de spiritueux et encense avec une dose d'humour les richesses de la gastronomie française en faisant la promotion des bonnes tables.

 

Aucun des créateurs de contenus rencontrés, tous âgés d'une trentaine d'années, ne veut pour autant s'enfermer dans le passé, refusant une nostalgie d'époques qu'ils n'ont pas connues. « Le but n'est pas de remettre au goût du jour quelque chose d'ancien, mais de prouver que ça a encore toute sa place aujourd'hui », résument les deux compagnons du Canon Français.

 

Même son de cloche chez Alexandre Czech, alias « Bonne Pitance » sur les réseaux : « Je suis un gros geek, très connecté, et je pense que nous vivons dans l'une des meilleures périodes de l'histoire de l'humanité. Ce n'était pas “mieux avant”, comme on dit, mais il existait avant des choses exceptionnelles qu'il faut conserver. »

Cet ancien manager dans l'informatique devenu boucher nous reçoit en périphérie du Mans. Nous ne sommes pas tombés le bon jour : lui, le viandard invétéré, nous fait goûter sa dernière recette… végétarienne. Une tarte à l'oignon néanmoins généreuse. Depuis avril 2023, Alexandre a rejoint la longue cohorte des « influenceurs bouffe » sur les réseaux sociaux. Mais il se démarque du pléthorique contenu de ce type en apportant une touche plus authentique et tournée vers le terroir.

Alexandre Czech, Bonne Pitance. « J'ai une casquette et un look de squatter, parce qu'on n'est pas obligé de porter le béret et la moustache pour montrer qu'on aime la France. » Olivier Coret pour le Figaro Magazine

Le souci de l'élégance

Alexandre se plaît notamment à reproduire les vieilles recettes de nos régions, « qui symbolisent notre patrimoine » : les tripes à la mode de Caen, la beuchelle à la tourangelle, le kig ha farz breton, le trompe-goule sarthois… Ces plats oubliés qu'on ne trouve plus que dans les livres ou les vidéos de l'INA ont paradoxalement rencontré un grand succès chez la jeune génération, habituellement rebutée par cette gastronomie paysanne souvent composée d'aliments moins « nobles ».

 

Certaines de ses vidéos ont atteint le million de vues, et son compte a accumulé plus de 220.000 abonnés en un an. « Ça remémore aux gens la cuisine de leurs grands-parents », tente d'expliquer Alexandre. La même motivation anime les participants des banquets du Canon Français : « Nombre de nos invités viennent pour vivre les fêtes de leurs aïeux », explique par exemple Pierre-Alexandre, du Canon Français.

 

Plus globalement, la plupart des influenceurs rencontrés convoquent le passé comme une solution contre une forme de mal-être de la société.

 

« Nous assistons à une crise existentielle de la race humaine, qui nous pousse à nous questionner sur l'apparence, sur le besoin de se loger, de mieux manger, de mieux se vêtir. Or, en période de crise, nous avons besoin de certitudes, que nous retrouvons dans l'Histoire », théorise Emmanuel Paraschiv-Debussy.

 

Nous rencontrons le jeune homme de 32 ans au très chic Café des Tuileries, à Paris. Moustache fièrement arborée, costume trois pièces bleu marine, « Emmanuel PCR », de son pseudonyme, disserte avec passion de la façon de s'habiller des hommes politiques. « Celui qui portait des costumes impeccables, c'est François Fillon. Ça ne lui a pas souri », explique-t-il d'entrée. Trois fois par semaine, Emmanuel publie sur ses réseaux sociaux des vidéos intitulées « On s'habille ensemble », dans lesquelles il propose une tenue élégante à ses internautes. Son contenu vise à réhabiliter le bon goût en matière vestimentaire et les matériaux durables, qu'ils soient français ou européens.

 

Son mot d'ordre ? « La mode est passagère, l'élégance est intemporelle. » Pour le jeune homme aux 325.000 abonnés sur Instagram et plus de 600.000 sur TikTok, « le costume possède cette aptitude à donner confiance aux gens ». Il critique le « confort à tout prix » qui pousse à « l'uniformisation » de la société mais aussi à la disparition de certains métiers traditionnels comme l'écailliste ou le formiste pour les chaussures. « L'élégance permet de faire vivre des artisans et leur famille, de faire vivre des savoir-faire », insiste-t-il. Lui aussi prend modèle sur les générations passées, avec un soupçon de regret : « Nos grands-parents ne jetaient pas, ils réparaient. Les belles matières se transmettaient de père en fils. » Ses abonnés suivent le même raisonnement. Il ressort de discussions avec eux que « l'envie de mieux s'habiller provient souvent du fait de se réapproprier une histoire personnelle ou même l'histoire de France ».

Carmel Assak, Splendide Élégance. « On m'a parfois fait le reproche que les règles de bonnes manières étaient incompatibles avec le féminisme. Lorsque l'on parle de galanterie, cela peut poser problème. Alors que, comme la courtoisie, c'est simplement de la bienveillance » Olivier Coret pour le Figaro Magazine

Covid et nouvelles mœurs

Faut-il alors s'imprégner de l'Histoire pour mieux vivre en société ? Carmel Assak, qui compte 276 000 abonnés sur Instagram, défend aussi l'élégance vestimentaire sur ses réseaux sociaux, mais également les bonnes manières et l'art de vivre à la française. « La société, aujourd'hui, ne brille pas par son harmonie, car nous avons perdu l'usage naturel des bonnes manières qui avaient de bons côtés, soupire-t-elle. Pour beaucoup, les bonnes manières s'appliquaient il y a une centaine d'années. Mais nous ne pouvons pas ranger cela dans le passé, il faut que ça continue d'exister. »

 

De tous leurs tempéraments, leurs parcours et leurs passions respectives, ces influenceurs amoureux de la France ont un point commun, celui d'avoir atteint des sommets en quelques mois. La plupart vivent désormais quasiment exclusivement des réseaux sociaux, grâce notamment aux partenariats rémunérés avec des marques ou des entreprises. Les retombées économiques sont fluctuantes, parfois confortables mais jamais mirobolantes. Car les influenceurs du patrimoine choisissent avec une grande rigueur leurs sponsors afin de ne pas dénaturer leur discours. Ainsi, Alexandre garde une activité de boucher deux jours par semaine et va prochainement publier un livre de cuisine. Emmanuel conserve une petite activité dans la communication et Carmel poursuit des études en droit des affaires internationales.

 

Pourquoi connaissent-ils un tel succès maintenant ? Évidemment, le Covid a joué son rôle. La jeunesse emprisonnée, contrainte par la fermeture des frontières et parfois par un pouvoir d'achat diminué, s'est naturellement tournée vers des activités plus simples, des destinations moins lointaines. « Les gens se sont mis à cuisiner à nouveau chez eux et, en parallèle, ils ont eu besoin de se retrouver », explique aussi Géraud, du Canon Français, qui affirme qu'après les confinements successifs la demande s'est accrue de manière exponentielle alors que l'offre n'était pas encore là. « Aujourd'hui, il y a des comptes comme le nôtre, avec notre concept, qui se créent tous les jours en région. »

 

« Peut-être aussi qu'après l'élection présidentielle de 2022 beaucoup de gens en ont eu marre de ce trop-plein de politique », réfléchit Yoann à haute voix, affirmant que de nombreux abonnés lui ont fait part de leur envie de s'épanouir dans des activités plus concrètes, n'hésitant pas à parler d'une recherche d'identité. Car si le Covid a été un révélateur, le phénomène est davantage, pour ceux qui l'observent au plus près, le symptôme d'une époque.

Antoine de Suremain, Antoine explore la France. « Le patrimoine naturel a déterminé la culture française. Les comportements des gens sont influencés par les régions dans lesquelles ils habitent. Si on ne prend pas soin de la culture et de l'identité française, on risque de la perdre. » Olivier Coret pour le Figaro Magazine

Le goût du patrimoine

« Nous sommes dans une période vide de sens, il faut retrouver des valeurs fédératrices », explique Antoine de Suremain, alias « Antoine explore la France ». À 31 ans, ce vidéaste et aventurier parcourt l'Hexagone en filmant ses voyages dans la « jungle » du Cantal ou au cœur du « far west » provençal, en descendant la Loire ou en traversant les Alpes et jusque dans les catacombes de Paris. Antoine partage ses aventures sur les réseaux sociaux et en tire aussi une émission sur Canal+. Il se rêve aujourd'hui en Stéphane Bern du patrimoine naturel français. « Et non pas de l'environnement, car les paysages sont le socle commun de tous les autres patrimoines : ils ont déterminé en partie la culture française », explique-t-il, évoquant l'exemple des marais salants de Camargue qui ont accouché de la culture taurine et manadière.

 

Le baroudeur regrette par ailleurs qu'« aimer la France soit associé à la droite ». Selon lui, « c'est une erreur d'en faire quelque chose de politique ». Ancien scout qui n'hésite pas à parler de sa foi chrétienne, Antoine insiste cependant pour toucher tous les publics. Alexandre aussi balaye les procès en « extrême droitisation ».

 

« Beaucoup de gens veulent revenir aux valeurs de la France parce qu'ils ont peur du grand remplacement. Moi je ne fais pas ça parce que j'ai l'impression que les kebabs remplacent les bistrots », assure-t-il.

 

Si tous les influenceurs que nous avons rencontrés tiennent à se tenir loin de la politique, certains agrègent autour d'eux une sociologie qui ne trahit pas. « Quand je croise quelqu'un en veste Barbour et avec une chevalière dans la rue, il y a de fortes chances qu'il me dévisage… et me reconnaisse », s'amuse Yoann, qui précise que, maintenant, sa communauté est très diversifiée. « Je suis un homme blanc, j'ai une moustache et un drapeau tricolore à la boutonnière et ça déclenche forcément des commentaires, sourit Emmanuel. Mais je ne m'arrête pas à ça. L'élégance à la française ne doit pas être partisane. Jean Jaurès était très élégant, et Marx avait des revers plus larges que moi (un signe d'élégance, NDLR) ! »

 

Dans la même veine, Carmel Assak se désole d'être parfois affichée dans les commentaires de ses publications comme une « droitarde ». « On rapporte souvent le côté élégant à la bourgeoisie et donc à la droite : c'est parce qu'on estime qu'être élégant c'est avoir de l'argent. Or, c'est faux, il existe de la seconde main, des articles à petit prix. Il est malheureux de rattacher cela à un courant politique. »

 

La sœur d'Emmanuel, Céline Debussy, qui a lancé un compte similaire axé sur l'élégance féminine, confirme le caractère apolitique de leur démarche. « La seule chose que j'ai de politique sur ma page, c'est d'apprendre à consommer français car notre patrimoine est très riche, avec toutes ses industries, ses anciennes maisons, ses savoir-faire locaux. » Celle qui se dit 100% Parisienne a ouvert un compte TikTok il y a deux ans. Aujourd'hui, elle travaille « en famille » avec son frère, en multipliant les vidéos à deux, jouant sur leur complicité.

Emmanuel Paraschiv-Debussy et Céline Debussy, Élégance Masculine/Féminine. « Je ne fais pas tout cela pour partir à Dubaï. Le but n'est pas d'influencer, mais de transmettre ce que j'estime juste, à la fois pour le portefeuille et pour la qualité. Ma mission ? “Make élégance great again” ! » Olivier Coret pour le Figaro Magazine

Fierté française

Tout comme Carmel, Céline, qui milite pour la « slow fashion », par opposition à la « fast fashion », centrée sur l'achat rapide et en quantité, et revendique l'élégance française comme « une manière d'être, une façon de vivre », et non comme un marqueur politique. « Il y a une vraie demande d'authenticité dans un monde où il y a énormément de téléréalité », explique-t-elle simplement, misant sur une « fierté française » partagée par tous.

 

« On milite beaucoup pour que les banquets restent ouverts, que tout le monde puisse venir », confirment de leur côté les deux amis du Canon Français. Leurs grands festins réunissent une population assez variée, quoique peu citadine et proche des périphéries. Dans le Beaujolais, à leur consternation, un groupe aviné a chanté dès les premiers instants : « On est chez nous. » Les deux amis veulent résister à la politisation malgré eux de leurs événements « franchouillards » ou l'on célèbre une certaine France.

 

À l'heure où elle se divise plus que jamais politiquement, « l'amour du pays doit être dépolitisé et rassembleur, martèle Antoine de Suremain. Je suis tombé amoureux de la France comme d'une personne, et je l'aime avec ses qualités et ses défauts ». Le but affiché de son compte est d'ailleurs « de reconnecter les Français à leur pays ». Même discours chez Emmanuel : « Les Français devraient moins écouter ce qu'il se passe ailleurs et se recentrer sur eux. J'ai l'impression que nous avons perdu, ou pas encore retrouvé la réponse de ce qu'être Français veut dire. »

 

Certains ne prennent pas de distance avec le concept de plus en plus connoté de « patriotisme ». « Je ne vais pas faire semblant : il y a un côté patriotique assumé dans mon contenu », tranche Yoann. Car, selon lui, aujourd'hui en France, « on élève beaucoup plus de petits Américains que de petits Français. » D'autres assument pleinement utiliser les réseaux sociaux comme un outil d'influence. « Je fais du“soft power”de la culture française à destination des Français », revendique Simon Vasseur.

Tous se rendent d'ailleurs compte de ce rôle plus ou moins conscient d'influence qu'ils jouent sur les réseaux sociaux. Sans pour autant accepter le terme galvaudé d'« influenceurs ». « Ces derniers sont des passe-plats entre des marques qui ne valent pas grand-chose et des abonnés qui sont des voyeurs », abonde Emmanuel. Il lui préfère celui de « créateurs de contenus ».

 

Il n'empêche que plusieurs de ses abonnés ont investi dans une garde-robe plus élégante depuis qu'ils suivent son compte. Deux abonnés d'Antoine, habitués des voyages autour du monde, sont partis sur ses conseils traverser le Jura pendant plusieurs jours. Et le fils de 5 ans de deux autres abonnés a demandé une boussole pour son anniversaire, « pour faire comme Antoine ». Alexandre a également incité plusieurs des personnes qui le suivent à se remettre à la cuisine, et notamment une jeune femme atteinte d'agueusie, une maladie qui ôte totalement le goût.

Simon Vasseur, La Garde du Patrimoine. « Le patrimoine intéresse les jeunes. Il y a une vraie demande. Beaucoup de lycéens qui se sentent un peu seuls m'ont écrit et sont heureux de voir qu'un jeune s'intéresse au patrimoine, que cela devient quelque chose de cool. » Olivier Coret pour le Figaro Mag  

Fuir la politisation

Cette petite communauté des influenceurs du patrimoine français se connaît et se fréquente. En 2020, alors qu'ils en étaient à leur balbutiement, Simon, Pierre-Alexandre, Géraud et Antoine s'étaient rencontrés lors d'un dîner. « Pierre-Antoine et Géraud avaient apporté le vin, Géraud et Antoine avaient cuisiné », raconte Simon. Aujourd'hui, ils explosent les compteurs, et multiplient les collaborations. Certains ont encore gagné plusieurs dizaines de milliers d'abonnés depuis que nous les avons rencontrés, en mars. « Je ne pense pas qu'il y ait de plafond de verre », espère Simon, qui compte bien atteindre le million.

 

Reste à savoir si les abonnés vont se diversifier ou, au contraire, s'homogénéiser. « Il y a un côté qui m'inquiète, c'est la tendance à se radicaliser avec ce côté puriste, authentique, poussé à l'extrême. Je me suis déjà fait insulter parce que je ne connais pas tous les morceaux de viande d'une vache », regrette Yoann. « Et ces questions qui reviennent sans cesse : qu'est-ce que tu penses, pour qui tu votes ? » À l'heure du tout politique, l'amour de la France, de ses paysages, de sa gastronomie, de son architecture et de son art de vivre peut-être autant honni par certains, que confisqué par d'autres.

 

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Par Hugues Maillot et Mayeul Aldebert

pour Le Figaro Magazine

Publié le 17 mai 2024