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Le Figaro : "Jean-Baptiste de Foucauld, la frugalité heureuse"
PORTRAIT - Cet inspecteur des Finances, longtemps conseiller de Jacques Delors et qui a dédié sa vie à bâtir des ponts entre politique et spiritualité, est l’un des penseurs français de la sobriété. Un concept qui revient à la mode.
À la mode, Jean-Baptiste de Foucauld ? N’exagérons rien! L’ancien commissaire au Plan, infatigable animateur d’associations, peut encore se déplacer dans Paris en toute tranquillité. Depuis quelques mois, quelque chose a pourtant bien changé. Comme un frémissement. L’ex-plume d’Emmanuel Macron, Sylvain Fort, lui a dédié une chronique enlevée dans L’Express. On le consulte à nouveau. Et cet intellectuel, qui a dédié sa vie à bâtir des ponts entre politique et spiritualité, ne fait pas semblant de ne pas apprécier. «On a prêché dans le désert pendant des décennies», reconnaît-il.
Il doit ce regain d’intérêt à une petite phrase d’Emmanuel Macron très commentée, à la fin de l’été: «Au fond, nous vivons la fin de ce qui pouvait apparaître comme une abondance.» L’Abondance frugale, c’était justement le titre de son dernier ouvrage, paru en 2010. Écrit à la sortie de la crise financière, cet essai martèle une conviction: «Abondance et frugalité désormais vont cheminer ensemble et s’étayer l’une l’autre.» Pour l’auteur, «il s’agit de persuader et de partager, non de contraindre» à la sobriété. Nous sommes loin des thèses décroissantes, qui influent tant sur le débat contemporain. «Il ne faut pas cracher dans la soupe du progrès technique, qui a permis une nette amélioration de nos conditions de vie, mais il est essentiel de sortir de l’opposition entre progrès et sobriété, avance l’inspecteur des Finances. L’humanité a en elle les solutions au problème.»
Parfaite honnêteté
Avec son vieux BlackBerry défaillant et ses cravates hors d’âge, Jean-Baptiste de Foucauld offre une belle incarnation de cette notion de sobriété. Mais son ambition est bien supérieure à ces symboles : la sobriété va pour lui bien au-delà d’une simple réponse à la crise énergétique. Il ne s’agit pas de renoncer à l’abondance, mais d’en convertir le sens, afin de répondre à la quête spirituelle qui s’exprime dans la société. Il a créé, dans cette optique, sa dernière association, le Pacte civique, autour de quatre valeurs: créativité, sobriété, justice et fraternité. Des termes bien usés auxquels ce petit homme frêle, obsédé par l’exclusion sociale, apporte une vitalité surprenante. Lucide, passé la satisfaction de voir le thème de la sobriété remis au goût du jour, l’ancien haut fonctionnaire a dû reconnaître que l’exécutif était loin d’épouser ses objectifs. «Pour l’instant, la sobriété n’est qu’un mantra, constate-t-il d’ailleurs. Par exemple, l’idée du temps choisi, qui permet d’arbitrer entre temps et revenus, sans être prisonnier d’un modèle de consommation, est complètement absente des débats.»
"La très forte capacité d’entraînement de Jean-Baptiste s’explique, je crois, par sa force spirituelle intime,
alliée à un grand respect de chaque interlocuteur et un total désintéressement personnel"
Laurence Cossé, romancière et amie de jeunesse de Jean-Baptiste de Foucauld
Une conversation avec Jean-Baptiste de Foucauld entraîne loin, de considérations sur les outils de lutte contre l’inflation - au cabinet de Jacques Delors à Bercy, au début des années 1980, il fut l’un des artisans de la désinflation compétitive - à des recommandations de lectures spirituelles. Le philosophe gnostique Raymond Abellio occupant, sur ce terrain, une place centrale dans son panthéon personnel.
Ce fils d’un éditeur et d’une poétesse, passionné de pêche à la mouche, impressionne surtout par sa parfaite honnêteté. À 80 ans, il continue de suivre la voie qu’il s’était fixée dans sa jeunesse: réconcilier sa vision d’un monde habité par Dieu avec les réalités sociales du pays, qu’il connaît bien. Depuis des décennies, il accompagne des chômeurs, en situation de précarité, en ce moment même une mère célibataire.
«Une recherche de pratique exemplaire du pouvoir»
«La sobriété ne nous rendra ni plus heureux ni plus malheureux, tranche-t-il, en réponse à une question un brin superficielle sur son degré d’optimisme. La question du bien et du mal est une question éternelle. Chaque époque a ses défis à relever. Nous avons le nôtre, relevons-le.» Ce haut fonctionnaire fait donc ce qu’il a à faire, avec qui veut bien le suivre. Un groupe d’amis fluctuant l’accompagne dans chacune de ses aventures. «La très forte capacité d’entraînement de Jean-Baptiste s’explique, je crois, par sa force spirituelle intime, alliée à un grand respect de chaque interlocuteur et un total désintéressement personnel. Il n’impose rien», avance la romancière Laurence Cossé, amie de jeunesse. Ces qualités, couplées à une vive intelligence, auraient sans doute dû le conduire à occuper des postes encore plus prestigieux que le Plan, quand sa famille politique était au pouvoir. Mais, finalement, il n’aura goûté à aucun maroquin. «Il attire et dérange à la fois, tant il incarne une recherche de pratique exemplaire du pouvoir», avance Laurence Cossé.
Ces aléas passés ne semblent pas préoccuper Jean-Baptiste de Foucauld, tout à son affaire d’œuvrer à la reconstruction spirituelle du monde. Il s’inquiète en revanche des nouvelles tensions géopolitiques. «On a péché par deux défauts spirituels. On a laissé la Chine entrer dans le système sans lui demander de contrepartie, par appât du gain, avance-t-il. Et on a vendu aux Russes une notion fade de la démocratie, en leur expliquant qu’il suffisait d’instaurer un peu d’économie de marché pour qu’elle advienne. Il fallait leur dire la vérité, que la démocratie est aussi un combat moral et spirituel, un moyen d’expression de la personne, pour moi conforme au plan divin. Faute d’avoir creusé cette voie, les Russes se sont inventé une forme d’orthodoxie autoritaire dont ils n’arrivent pas à sortir.» La source de cet échec lui semble évidente: «l’absence de formation spirituelle de l’élite».
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Anne de Guigné
Le 30 janvier 2023