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France Culture : "Comment pouvait-on être noble sous l'Ancien Régime ?"
Portrait de Jean-Baptiste Colbert, homme d'État français qui fut Premier ministre d'État de 1661 jusqu'à sa mort en 1683 ©Getty - mikroman6 / Collection : Moment
La noblesse française sous l'Ancien Régime se distinguait par le patrilignage, une unité de principe entre nobles et un contrôle royal strict. Les réformes de Colbert ont exacerbé les tensions entre noblesse traditionnelle et bureaucratique, entraînant un déclin douloureux de l'autonomie nobiliaire.
La noblesse française reposait sur le patrilignage et une unité de principe qui ignorait les distinctions sociales internes, contrairement à l'aristocratie anglaise. Les réformes de Colbert ont imposé une définition légale stricte de la noblesse, accentuant la divergence entre noblesse traditionnelle, basée sur la vertu et les exploits militaires, et la noblesse bureaucratique créée par l'État. Dès les années 1550, l'ascension sociale des nobles dépendait de leur accès à la cour et aux offices royaux, avec des défis significatifs pour les familles. La tension entre la noblesse de naissance et celle acquise par anoblissement a marqué cette période, le pouvoir royal combinant ces deux notions opposées. Les réformes ont réduit l'autonomie sociale des nobles, précipitant un sentiment de déclin politique et social durable parmi eux.
Les trois spécificités de la noblesse française
Les études qui ont comparé les diverses aristocraties européennes ont permis de mettre en évidence trois spécificités de la noblesse française. En premier lieu, elle repose sur la notion de patrilignage, écartant de ce fait la noblesse des mères, contrairement aux conceptions bilatérales qui caractérisaient la noblesse dans le monde espagnol. Ensuite, la définition française est fondée sur une unité de principe de tous les nobles, quelles que soient leurs distinctions sociales, refusant ainsi la différence établie par les Anglais entre aristocratie et "gentry". Enfin, le pouvoir royal a imposé, en France, un contrôle rigide de l'ordre noble, au détriment des coutumes et des pratiques sociales.
Les réformes de Jean-Baptiste Colbert ont joué un rôle essentiel dans l'histoire de la noblesse française, en jetant un voile d'obscurité sur les représentations et les pratiques nobiliaires qui existaient avant la fin du XVIIe siècle. Un énorme fossé séparait pourtant la conception traditionnelle de la noblesse et la conception légale imposée par l'État royal. Dans la tradition aristocratique, le gentilhomme était défini par ses blessures de guerre et par sa vertu. Les représentations courantes assimilaient la noblesse à une qualité inhérente à la personne, transmise de génération en génération au sein du lignage paternel.
La construction d'un appareil d'État entraîna, à partir des années 1550, le durcissement des conditions de la reproduction sociale pour les grands seigneurs. La cour et l'accès aux offices de justice ou de finance sont devenus les voies royales de l'ascension sociale. Ces voies étaient pavées de pièges pour les familles, mais celles qui ne s'y engageaient pas voyaient leurs horizons sociaux se restreindre drastiquement.
"La noblesse naturelle et la noblesse créée"
Avec le triomphe de la logique bureaucratique reposant sur des papiers et des procédures, le système étatique de reproduction de l'ordre noble a introduit des contradictions fondamentales entre les représentations et les pratiques, entre la noblesse naturelle et la noblesse créée. La définition de la noblesse a ainsi été prise dans une tension issue de deux propositions aussi indissociables qu'antinomiques. La première veut que la noblesse repose sur la naissance. On naît noble, on ne le devient pas. Dans cette perspective, l'ancienneté est le critère de noblesse par excellence. La nécessité de s'y conformer entraîne la prolifération de généalogies douteuses.
Mais la pratique royale des lettres d'anoblissement explique qu'un nombre de plus en plus grand de nobles ait été des roturiers incapables d'invoquer le critère de l'ancienneté. La domination que le pouvoir royal exerça sur l'aristocratie française résulta sans doute de la manière dont il parvint à combiner ces deux principes, pourtant incompatibles dans l'ordre de la logique et dans l'ordre des faits.
Les réformes de Colbert ont finalement fait perdre à la noblesse l'essentiel de son autonomie sociale. Contrainte de s'adapter aux exigences de sa définition bureaucratique, ses profonds remaniements internes ont été vécus douloureusement par ses membres. Là est sans doute l'origine d'un des thèmes appelés à une grande fortune intellectuelle : celui du long déclin politique de la noblesse.
Bibliographie
Robert DESCIMON, "Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse «essence » ou rapport social ?", Revue d’histoire moderne et contemporaine, n °1, Janvier-mars 1999, n°1, pp. 5-21.
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