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Le Figaro : "Castelnau, le maréchal escamoté, de Jean-Louis Thiériot: héros discret et conservateur lucide"
LA CHRONIQUE DE JACQUES DE SAINT-VICTOR - L’essayiste évoque le destin militaire et politique de cet homme de droite catholique qui fut, par trois fois, privé du bâton de maréchal.
Le général de Castelnau. www.bridgemanimages.com/Bridgeman Images
Dieu est-il de droite? se demandait-on ironiquement à l’époque du Front populaire à propos du général de Castelnau. À la tête d’une puissante Fédération nationale catholique (FNC), créée en 1924, il avait contraint le Cartel des gauches à renoncer à étendre la loi de 1905 à l’Alsace-Moselle. Depuis, ce « capucin botté », selon le mot de ses adversaires, a fait l’objet de toutes les caricatures.
Grâce à cette nouvelle biographie, Jean-Louis Thiériot révèle un modèle méconnu de conservateur, opposé au Front populaire, mais qui n’a jamais failli sur l’essentiel, à savoir le racisme et l’antisémitisme, précisément grâce à ses valeurs chrétiennes. Ce descendant d’une vieille noblesse d’épée désargentée, originaire du Rouergue, né en 1851 et héros de la bataille de la Marne, n’a jamais pu accéder à la dignité de maréchal de France à cause de mesquineries politiques. Cet homme de droite est resté jusqu’à sa mort fidèle à ses idées de jeunesse et il n’a jamais cédé ni aux sirènes du néomonarchisme de l’Action française, qui a tenté en vain de le récupérer, ni aux illusions de la «révolution nationale» du maréchal Pétain, qui, par son culte du «retour sur terre», a séduit tant de notables comme Henry Bordeaux.
Malgré sa défiance pour une République qui n’a cessé de lui mettre tant de bâtons dans les roues, étant issu d’une famille qui avait donné plusieurs enfants à l’armée de Condé, Castelnau n’a pas flanché. Percer le mystère de ce conservatisme lucide rend la lecture de cette biographie passionnante et fort instructive. Une piste ténue se dégage de ces pages. Une partie du fatalisme de la droite pétainiste en 1940 s’est nourrie du «providentialisme», qui remonte à Bossuet, ravivé par Joseph de Maistre. Castelnau n’est pas dans cette tradition qui veut voir dans la défaite un châtiment divin ; ainsi se dessine tout un courant de pensée oublié, depuis les premiers contre-révolutionnaires de 1789 - avant Maistre et Bonald - jusqu’à Cochin ou le catholicisme social , qui, tout en étant conservateur, se démarque du providentialisme et du dogmatisme scientiste et positiviste de Maurras et de son antisémitisme. Et c’est probablement cette tradition à redécouvrir qui a pu permettre à Castelnau de garder le cap.
« Général de la jésuitière »
L’homme, que l’auteur nous décrit plutôt comme un « héros discret », « un type d’homme qu’on a bien du mal à concevoir aujourd’hui », fort loin de la morgue d’un Pétain (même s’il est comme lui avare du sang de ses hommes), s’est d’abord imposé sur le champ de bataille. On laissera aux spécialistes d’histoire militaire le soin de disserter sur sa finesse stratégique. Thiériot est un spécialiste de ces questions, ce qui tombe bien puisqu’il est désormais ministre délégué auprès du ministre des Armées. On retiendra surtout l’action politique du général après 1918, quand il va chercher à réconcilier les « deux France ».
Élu de la Chambre bleu horizon, il se réclame de la solidarité des tranchées, où se mêlaient ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, pour calmer l’anticléricalisme dominant. Ce proche de Pie XI favorise le rétablissement des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, rompues depuis 1905. Malheureusement, en 1924, le Cartel des gauches réveille la « question laïque » en proposant d’étendre la loi de séparation à l’Alsace-Moselle. À la tête de sa FNC, Castelnau organise des manifestations monstres dans toute la France, utilisant des méthodes bien plus modernes que celles des syndicats. Il parvint à faire céder le Cartel. Peu lucide sur Mussolini, puis sur Franco, à ses débuts, il se ressaisit dès 1937, purge la FNC de ses éléments radicaux (comme Xavier Vallat), s’opposant vigoureusement dans la presse à Hitler.
Il ne se laisse détourner ni par les discours pacifistes ni par l’anticommunisme d’une bourgeoisie qui proclame alors « plutôt Hitler que Blum ». Il aurait pu devenir gaulliste, mais, rappelle Thiériot, il y a trop de différences de style et de caractère. Il n’a pas la même vision de l’homme, ni le même goût pour « l’épate ». Plus humblement, il se rapproche durant la guerre du cardinal Saliège, qui condamna vigoureusement en 1942 la déportation des Juifs. Castelnau est mort trop tôt, en mars 1944, pour tirer les bénéfices de sa clairvoyance. Bref, le « général de la jésuitière » représente une haute figure d’un conservatisme français aujourd’hui bien oublié ou complaisamment confondu avec le maurrassisme.
Castelnau, le maréchal escamoté 1851-1944, de Jean-Louis Thiériot, Tallandier, 446 p., 23,50 €. Tallandier