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Le Figaro : "Jean d’Indy, l’homme de presse bissextile, directeur de La Bougie du sapeur"

29 février 2024 Revue de presse
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PORTRAIT - Chaque 29 février, depuis 1980, paraît La Bougie du sapeur. Un périodique atypique et rigolard dont le directeur est une personnalité du monde hippique haute en couleurs.

«Si on nous critique, ce n’est pas agréable, mais on a quatre ans pour se faire oublier, c’est l’avantage de ce rythme insensé de publication», s’amuse Jean d’Indy. Xavier Pennec et Jean-Baptiste Semerdjian / Le Figaro  

Tous les quatre ans, Jean d’Indy prend la grosse tête. C’est lui qui le dit! Andy Warhol promettait quinze minutes de célébrité dans une vie, pour le directeur de La Bougie du sapeur, le jour de gloire revient tous les 29 février quand paraît son journal satirique rouge et jaune. Avec sa pochette, ses mocassins et ses chaussettes colorées, ce sexagénaire, armoire à glace, charmant et blagueur, court alors les interviews pour présenter ce journal atypique et rigolard dont la date de parution impose une publication tous les quatre ans, quand l’année est bissextile. «Nous avons le rubriquage du Figaro. On sort la veille au soir comme Le Monde. Et le journal a le format de Libération», fanfaronne-t-il devant son écran d’ordinateur, dans ce qui lui sert de rédaction.

 

Ici, à quelques centaines de mètres du bois de Boulogne, le directeur de la publication de La Bougie a placardé la vingtaine de pages du journal, dont une partie des bénéfices sera reversée à une maison dédiée aux enfants autistes dans l’Indre. Sur la table, se chevauchent les 11 dernières éditions de cette publication créée en 1980 par trois copains qui souhaitaient avoir leur journal, mais sans trop se presser. Depuis, La Bougie est devenue une tradition, un ovni indépendant d’une dizaine de bénévoles, qui s’amusent sans prétention. Les conférences de rédaction se font dans un bistrot autour de bonnes bouteilles. La devise? Une citation d’un fantomatique Li Chen Glu: «Le 29 février rira, quatre années bien passera.» Et d’Indy d’ajouter: «La ligne éditoriale reste la même! On parle de la vie du pays, que ce soit l’actualité ou les grandes tendances de la société, traitées avec humour et légèreté

 

Demandez le journal. Cet après-midi-là, à quelques jours du fatidique 366e lever de soleil, Jean d’Indy se félicite de pouvoir déjà présenter l’édition 2024 dont les paquets viennent d’être livrés. En gros titre: «On va tous devenir intelligents.» Il pouffe de son rire de fumeur de cigares et admire les piles du haut de son mètre quatre-vingt-dix. Pour cette édition, comme d’habitude, il va en imprimer quasiment 200.000 exemplaires qui seront vendus dans les kiosques de France, de Belgique et de Suisse.

« On a quatre ans pour se faire oublier »

Très sérieusement, Monsieur le directeur de la rédaction remet ses lunettes et livre, en avant-première, les «révélations» que l’on pourra lire: «Avec l’intelligence artificielle, il n’y a plus besoin de se soucier des bulletins de notes. Je ne vois pas pourquoi on s’inquiète de savoir si les Français sont nuls en maths puisque, maintenant, ils ont l’IA pour briller. Demain, tous polytechniciens. C’est fini l’élitisme par le savoir!» L’homme, rodé à l’exercice, joue parfaitement le jeu de l’interviewé en glissant avec sérieux et gourmandise des lapalissades sur son éminente feuille de chou. «Jean est un formidable bon vivant, hédoniste, qui aime les copains et l’humour potache», avait prévenu un ami de toujours. Entre un brillant bon mot et un affreux jeu de mots, du grinçant Gaspard Proust aux gloussantes Grosses Têtes, ainsi va l’humour français. «On aime tourner les choses en dérision, se moquer sans être méchant, dit-il en regardant une édition des années 1990 en noir et blanc. Mais il nous arrive de titiller les politiques qui y prêtent assez bien le flanc, même s’ils ne répondent jamais à nos demandes d’interview… Emmanuel Macron a pourtant répondu à Pif Gadget! Notre unique limite est de ne pas casser les gens. Le monde est déjà assez morose.»

 

En regardant de plus près le journal, on tique sur le deuxième sujet en une: «Ce que les hommes doivent savoir avant de devenir des femmes.» Houla! Et si La Bougie du sapeur, avec ses blagues de boomer, était mise au ban pour manquement aux vertus contemporaines? «S’il y a des gens qui veulent critiquer parce qu’ils nous trouvent trop féministes, ou trop antiféministes, c’est bien, ils pourront se contredire, ça fera le buzz, les lecteurs voudront acheter le journal. Nos kiosques sont tellement sinistrés… Mais il est vrai que le politiquement correct est toujours plus présent, la langue de bois s’est généralisée», regrette-t-il. Avant de reprendre avec malice: «Si on nous critique, ce n’est pas agréable, mais on a quatre ans pour se faire oublier, c’est l’avantage de ce rythme insensé de publication!»

« Jean d’Indy est une figure de l’hippodrome d’Auteuil. Toujours élégant, à l’ancienne, rieur et bon vivant. Il représente cette génération d’hommes engagés et investis dans leur passion » Un habitué

Dans le civil, quand il ne porte pas sa casquette de rédacteur en chef bissextile, c’est avec un Paris Turf sous le bras que l’on croise Jean d’Indy aux abords des champs de courses. Cela fait des décennies qu’il est l’une des figures du monde du cheval français. Juge, commissaire, éleveur, membre actif de France Galop, il incarne là aussi une autre tradition bien française avec ses charmes et ses critiques récurrentes. «L’image des courses qui seraient un truc rétrograde de vieux mâles blancs habillés comme dans les années 1950, je la combats totalement! Il faut aller sur les hippodromes! Les gens ne sont plus comme autrefois, c’est populaire, et les chevaux sont glorifiés, loin de la maltraitance animale, clame-t-il, passionné, avant d’ajouter son trait d’humour habituel: moi, peut-être que je suis un vieux con avec mon style, mais les courses sont tout à fait dans le siècle!» Un habitué commente: «Jean d’Indy est une figure de l’hippodrome d’Auteuil. Toujours élégant, à l’ancienne, rieur et bon vivant. Il représente cette génération d’hommes engagés et investis dans leur passion.»

 

Dans cet océan de franches rigolades, de mondanités équestres et de bons gueuletons, le gaulois hédoniste d’Indy garde l’amertume d’un plateau télévisé où, alors invité pour son 29 février de célébrité, on s’était largement moqué de lui et de son journal de copains. «Je me suis fait démolir», confie-t-il à plusieurs reprises. Le revers de la médaille. Heureusement, ce n’est que tous les quatre ans.

 

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Par Jean-Baptiste Semerdjian et Xavier Pennec

Publié le 29 février 2024