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Le Figaro : "Philippe Pozzo di Borgo : l'élégance d'un « intouchable »"
DISPARITION - Son incroyable vie a inspiré l'un des plus grands succès du cinéma français. Devenu une icône, l'aristo « tetra » n'a cessé de lutter pour appeler à se réconcilier avec la part de fragilité en nous.
Son élégance était telle qu'on en oubliait son corps immobile. Et son message de fraternité a bouleversé la France. Philippe Pozzo di Borgo, l'aristocrate tétraplégique et héros du film Intouchables, inspiré par son parcours, est décédé à 72 ans. Sa vie en montagnes russes l'a conduit à devenir le porte-parole de la fragilité.
Les réalisateurs de cette tragicomédie Éric Toledano et Olivier Nakache, qui couronna Omar Sy du César du meilleur acteur, ont aussitôt fait part de leur émotion sur Twitter : « Nous venons d'apprendre avec une immense tristesse la disparition de notre ami Philippe Pozzo di Borgo. En acceptant que l'on adapte son histoire dans Intouchables il a changé notre vie et la vie de nombreuses personnes vulnérables et fragiles ».
Coiffé d'un panama l'été et d'un feutre l'hiver, foulard en soie et humour fulgurant, il naviguait entre rires et silences. « Qu'est-ce que les invalides peuvent apporter aux valides? » lui demandait-on en 2012, juste après le succès phénoménal du film d'Olivier Nakache et Éric Toledano. « J'ai vingt ans de métier, je vais vous expliquer », répliquait-il d'un regard malicieux. Comme un mode d'emploi au bonheur. Un témoignage vivant qu'il y a encore une place pour la vulnérabilité dans un monde tourné vers la performance.
« En toute liberté, j'aurais cédé à la désespérance... »
Plus jeune, il était l'un de ces fils de bonne famille à qui tout sourit. Héritier des ducs Pozzo di Borgo et des marquis de Vogüé, il alliait une carrière prometteuse à la direction des champagnes Pommery à un mariage heureux. Bulles et amour. En 1993, un accident de parapente en Savoie brise sa vie dorée. Après plusieurs mois en réanimation, l'homme d'affaires se réveille tétraplégique, sans l'usage de ses bras ni de ses jambes. Cloué dans un fauteuil à 42 ans, assigné à résidence dans son somptueux hôtel particulier parisien du 7e, il découvre l'immobilité.
De cette expérience, « Pozzo » a tiré une leçon qu'il livrera des années plus tard dans son combat contre la légalisation de l'aide active à mourir. « Après mon accident, quand je ne voyais pas de sens à cette vie de souffrance et d'immobilité, j'aurais exigé l'euthanasie si on me l'avait proposée. En toute liberté, j'aurais cédé à la désespérance, si je n'avais pas lu, dans le regard de mes soignants et de mes proches, un profond respect de ma vie, dans l'état lamentable dans lequel j'étais. Leur considération fut la lumière qui m'a convaincu que ma propre dignité était intacte », a-t-il témoigné aux côtés du collectif Soulager mais pas tuer. Son dernier combat aura été d'alerter des risques de dérives vers une société qui pourrait « à peu de frais, se dégager de la nécessité d'assister les plus fragile. .»
« Bac moins six »
Trois ans après son accident de parapente, un autre drame a marqué sa vie : la mort de Béatrice, sa femme, atteinte d'un cancer. Quel espoir pour une âme solitaire dans un monde devenu vide ? « Je n'ai plus de passé, je n'ai pas d'avenir, je suis une douleur présente », dit-il de cette période dans son récit autobiographique, Le second souffle. C'est à ce moment-là qu'Abdel Yasmin Sellou fait une apparition inattendue dans sa vie. Le petit caïd « bac moins six » devenu auxiliaire de vie détonne dans son salon lambrissé, trop feutré. Et dynamite sa dépression. Leur amitié, inattendue, revigorante, d'une liberté totale, l'aide à remonter la pente. Ce « diable gardien », comme il l'a surnommé, est interprété par Omar Sy dans le film de Éric Toledano et Olivier Nakache. « Alors qu'il était dans une situation de vulnérabilité totale, Philippe a embauché un gars qui aurait pu le malmener et il lui a fait confiance. C'est exactement ce que raconte Intouchables : la joie peut jaillir d'une relation entre deux êtres fragiles parce qu'ils se font confiance et apprennent l'entraide », résume son ami, l'entrepreneur social Laurent de Cherisey.
Ce dernier est à la tête de l'association Simon de Cyrène qui a bénéficié de 5% des bénéfices des producteurs du film, généreusement reversés par « Pozzo ». Grâce à cette manne de départ de 800.000 euros, l'association a lancé en France des projets de maisons partagées réunissant des « fauteuils » et des « valides ». 25 sont déjà sorties de terre et le même nombre est en projet. « J'en suis le parrain, c'est mon côté corse », lançait très fier l'aristocrate en fauteuil, exagérant malicieusement l'accent du clan Pozzo di Borgo, une des plus vieilles familles de l'île. Au-delà, c'est tout le regard de la société française sur le handicap qui a progressé. « En acceptant que l'on adapte son histoire dans Intouchables, il a changé notre vie et la vie de nombreuses personnes vulnérables et fragiles », ont salué les réalisateurs d'Intouchables.
« Une fragilité féconde »
« Philippe, c'est le mystère d'une fragilité féconde. Il estimait qu'il avait davantage appris après son accident que quand il évoluait dans un monde de luxe et dans la tyrannie de la performance. Au-delà de son image et du message du film, c'est sa parole qui nous a aidé à nous construire, confie Laurent de Cherisey. À chaque rencontre, il nous transmettait une incroyable espérance. Il nous appelait à être des éveilleurs. Nous les fragiles, on appelle à la relation. On désarme la peur de l'autre, la peur de la différence et on créé de la fraternité ».
Avec sa seconde épouse Khadija et ses deux filles adoptives, Philippe Pozzo di Borgo s'était construit une nouvelle vie au Maroc, à Essaouira. Le climat y était plus clément pour son corps perclus de douleurs. Régulièrement, il passait aussi de longs séjours au CHU de Nantes pour recevoir des soins. Une partie moins médiatisée de son existence. Avec la poésie et la prière comme antidotes aux souffrances et à la fureur du monde. De ces jours et ces nuits, ces mois « allongé le regard au plafond », il ne s'est jamais plaint car « dans le silence règne la conscience » .