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Crédit: Nabila el Hadad / Hans Lucas pour le JDD

Le Journal du Dimanche : "Le Gardien de la Noblesse"

03 juillet 2022 Revue de presse
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Patrick de Sèze, gardien de la noblesse française : « À nous de nous adapter sans renier nos valeurs »

Par Juliette Demey envoyée spéciale à Échandelys (Puy-de-Dôme) 

 

Toison blanche, regard océan, cravate. Lorsque, à l’appel de son épouse Marie-Hélène, il descend l’escalier monumental de sa propriété à Échandelys, dans la région du Forez (Puy-de-Dôme), le comte de Sèze tient son rang. Celui du descendant de Raymond de Sèze, conseiller du roi Louis XVI, dont il a hérité le titre à sa naissance, il y a soixante-sept ans. Depuis deux semaines, il porte aussi celui de président de l’Association d’entraide de la noblesse française (ANF). La candidature de Patrick de Sèze s’est imposée à la tête de cette structure discrète, qui compte 6 000 membres issus de 2​ 300 familles. « Communiquer, ce n’est pas notre tasse de thé », admet-il, pourtant désireux d’attirer de nouveaux adhérents parmi les 50 000 à 100 000 représentants de la noblesse française. Celle-ci n’a d’ailleurs plus d’existence légale ; c’est un simple titre honorifique reconnu par l’État.

 

À la tête de l’association, il entend démontrer que les nobles ne sont pas « accrochés au passé ». Ils se perçoivent plutôt en « protecteurs de patrimoine », en « passeurs », unis par des valeurs (le service, l’excellence, le code de l’honneur) pour mieux « se projeter vers l’avenir ».

 

Le chef d’une famille de « 700 membres »


À la mort de son père, en 1983, Patrick de Sèze, « aîné de la branche aînée », est devenu le chef d’une famille de « 700 membres ». « Cela confère des devoirs : garantir la sauvegarde des archives, porter cette mémoire dont on n’est que le dépositaire. » L’ancien commando de marine — il a perdu « un bout de jambe » dans une opération au Liban — fait le tour de cette propriété surplombant des collines tapissées de forêt. Avec son épouse, ils ont quitté Baden, en Bretagne, pour vivre ici au moins la moitié de l’année. Le mercure peut chuter à - 15 °C. Seule la cuisine est chauffée. Mais en acquérant, il y a quelques mois, cette bâtisse restée 400 ans entre les mains des Roys, une lignée éteinte, le couple conjugue plusieurs rêves qui font écho aux missions de l’association : préserver son patrimoine et son mobilier (ici, des stucs classés, là, une chaise à porteurs, des tapisseries d’Aubusson) ​; faire de la demeure un écrin pour leurs archives historiques et familiales ; réparer la blessure du père qui, lorsque Patrick de Sèze était adolescent, a dû vendre son château en bord de mer ; revenir aux sources, enfin, les deux familles du couple étant originaires du Forez, tout en offrant à leurs trois fils, deux filles et quatre petits-enfants un lieu de cousinades où se fabriquer « des souvenirs formidables ».

 

« Ils sont nés ainsi, il n’y a pas de fierté à avoir. Mais nous voulons les aider à assumer leur destin, à s’inscrire dans le monde actuel »

 

Pour l’heure, ce sont les souvenirs de la famille des Roys qui occupent la maison. Seul un portrait de ­Raymond de Sèze a été accroché dans la salle à manger. « On déjeune sous le regard de l’ancêtre », s’amuse Patrick de Sèze. Un regard exigeant. Des six générations précédentes, il a hérité d’innombrables pièces, parmi lesquelles figure le jabot que Louis XVI donna à son aïeul avocat, pour qu’il puisse s’éponger le front au cours du procès du monarque pour trahison et conspiration contre l’État, en 1793. Mais il a surtout hérité, dit-il, d’un sens du courage. « Porter, dans les archives et dans la peau, la mémoire d’un homme qui a ainsi risqué sa vie, cela vous blinde. Je dois être à la hauteur de son anoblissement. »

 

Comme président de l’ANF, il voudrait transmettre ce « patrimoine symbolique » aux jeunes générations. « Certains peuvent avoir honte, ou subir des remarques du fait de leur particule », constate le comte. On leur dit qu’ils ont échappé à la guillotine. On leur refuse une allocation logement. « La Révolution reste une cassure. Ils sont nés ainsi, il n’y a pas de fierté à avoir. Mais nous voulons les aider à assumer leur destin, à s’inscrire dans le monde actuel en faisant grandir ces racines. »

 

Il faut démontrer sa filiation naturelle et légitime


L’association a vu le jour en 1932, en réaction à deux crises qui ont affaibli les familles : la Première Guerre mondiale et le krach boursier de 1929. Avec un budget de 400 000 euros annuels issus des cotisations, deux ­salariés et plus de 300 bénévoles, ses missions initiales n’ont guère changé : ­attester l’appartenance à la noblesse, apporter une entraide morale et matérielle aux familles pour ­protéger leur nom et assumer leur charge. Si la structure a perdu en 2019 son statut d’intérêt général accordé en 1957 par De Gaulle (un roturier !), elle demeure reconnue d’utilité publique. Chaque année, environ 200 demandes ­d’adhésion sont soumises à sa « ­commission des preuves ». Nul besoin d’afficher une particule, de grandes lignées comme celles des Durand ou des Pichon n’en arborent pas. D’éminents spécialistes vérifient le respect des critères du droit nobiliaire : il faut démontrer sa filiation naturelle et légitime, en ligne directe et masculine, jusqu’à un ancêtre pouvant présenter un acte de reconnaissance de noblesse française, établi jusqu’à l’empereur Napoléon III. La numérisation des archives accélère ces recherches en filiation, mais accroît le risque de falsification. Car les nobles suscitent encore d’innombrables fantasmes. « Pour un vrai, on en trouve deux faux ! », ironise Patrick de Sèze.

 

Ont-ils des « gens » ? Du pouvoir ? Les unions sont-elles arrangées ? Certes, l’association possède une branche Jeunesse, qui organise des rencontres et un bal annuel au Cercle Interallié. Oui, parmi les Parisiens, ils sont nombreux à fréquenter l’élitiste Jockey Club. Le comte sourit : beaucoup de nobles vivent en province, loin de ces fastes. « Aujourd’hui, on épouse les personnes rencontrées au cours des études, avec lesquelles on a des atomes crochus. »

 

Si toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées (lui-même a dirigé une société de culture d’hortensias), rares sont les nobles ouvriers. On les retrouve à des postes clés dans l’armée, la haute administration, les hôpitaux, les ONG — « le sens du service en fil conducteur », analyse Patrick de Sèze —, mais aussi dans les affaires, à l’image de Geoffroy Roux de Bézieux (Medef), de Henri de Castries (Axa, jusqu’en 2016) ou d’Augustin de Romanet (Aéroports de Paris).

 

Le prêt de tenues et de jaquettes de cérémonie


Un réseau puissant que l’association sollicite pour mener sa mission d’entraide. Comme lors du confinement, pour offrir un accueil ou un appui financier aux étudiants séparés de leur famille. Le mythe du château gouffre financier, lui, n’en est pas un. « Certains se saignent toute leur vie sans demander d’aide, confie Patrick de Sèze, évoquant un voisin devenu agriculteur pour ­conserver sa propriété. Cela peut être un fardeau, c’est un devoir. » Grâce à son maillage territorial, l’ANF est informée des cas de « très grande détresse », plus fréquents avec les crises récentes. « Des personnes délaissées, à la rue… On n’imaginerait pas. » Elle leur offre un soutien ponctuel ou au long cours, évidemment « confidentiel ».

 

« La noblesse ne représente plus un corps social, politique, mais patrimonial »

 

Ces dernières années, le service historique de « vestiaire » proposé par l’ANF, qui aidait les jeunes nobles à tenir leur rang, s’est recentré sur le prêt de tenues et de jaquettes de cérémonie — provenant parfois du placard d’anciens présidents de la République. Plusieurs prix et bourses sont attribués à des étudiants prometteurs, ainsi qu’à des start-up. « La noblesse est aventurière — Dieuleveult, ­d’Abboville — avec des positions avant-gardistes dans l’art, un caractère affranchi. Nous voulons garder cet esprit. » Si elle compte des royalistes dans ses rangs et se dit attachée à la ­religion catholique, l’association se défend de tout rôle politique et de prosélytisme, affirme Patrick de Sèze. « La noblesse ne représente plus un corps social, politique, mais patrimonial ».

 

Les règles de l’Ancien régime qu’elle porte ­s’entrechoquent parfois avec celles de la République et avec l’évolution de la société. « À nous de nous adapter sans renier nos valeurs. » Ainsi la noblesse a survécu : en s’inscrivant dans le temps long. Jusqu’au retour de la monarchie ? « L’histoire a des retournements et des accélérations qu’on n’imagine pas. Vingt ans après l’assassinat de Louis XVI, son frère était roi ! Never say never ».

 

Légende : Le comte Patrick de Sèze et sa femme, Marie-Hélène, en juin à Échandelys. (Nabila el Hadad / Hans Lucas pour le JDD)

 

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Le Journal du Dimanche

Dimanche 3 juillet 2022

 




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