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Journal du Luxe : "« Les maisons de luxe doivent trouver le juste milieu entre expérience exceptionnelle et frugalité d’impact » Guillaume des Rotours et Raquel Navalón, KPMG"
"Savoir-faire et innovation : comment le luxe continue-t-il de faire rêver", c'est la grande question à laquelle a tenté de répondre KPMG, cabinet d'audit et de conseil, dans la première édition de son étude dédiée au secteur du luxe et à sa transformation profonde liée à l’impact environnemental et aux nouvelles technologies. Entretien avec Guillaume des Rotours, Associé KPMG, Responsable Consumer & Markets pour Advisory et responsable du secteur du Luxe pour la France, et Raquel Navalón De La Rosa, Senior Manager KPMG, spécialiste du secteur Luxe.
Journal du Luxe : Pouvez-vous nous en dire plus sur la place des valeurs écologiques et durables dans l'acte d'achat des produits de luxe ?
Guillaume des Rotours et Raquel Navalón De La Rosa, KPMG : Les valeurs écologiques et durables prennent une place de plus en plus importante dans l'achat de produits de luxe, car les consommateurs deviennent plus conscients des impacts environnementaux et sociaux de leurs choix. Ils se disent d’ailleurs prêts à payer plus cher pour des articles éco-conçus, mais cela reste encore à prouver au niveau de l’acte d’achat.
D’après notre dernière étude KPMG "Future of Luxury" menée auprès des experts et professionnels du secteur, les enjeux ESG sont désormais reconnus comme prioritaires aux plus hauts niveaux de décision de l’entreprise. Pour les professionnels du luxe interrogés, si la qualité et le caractère artisanal des produits restent prioritaires (41 %), le développement durable figure dans le top 3 des priorités citées pour le secteur (37 %), juste derrière le caractère unique des produits (38 %) et devant la responsabilité sociale (36 %). Pour répondre à la demande des consommateurs, les marques de luxe mettent en place des stratégies de durabilité, travaillent à l’éco-conception de leurs produits et à l’optimisation de leurs productions pour répondre au plus près de la demande de leurs clients. La transparence et la traçabilité sont également cruciales, les consommateurs veulent connaître la provenance et les conditions de fabrication des produits qu’ils achètent. Le "digital product passport" qui prendra effet en 2027 pour l’industrie de la mode permettra de répondre à cette attente des consommateurs. De plus, les consommateurs recherchent des expériences d'achat cohérentes avec leurs valeurs écologiques, ce qui imposent aux Maisons de trouver le juste milieu entre expérience exceptionnelle et frugalité d’impact. Des emballages à la conception des boutiques, tout est en train d’être repensé au regard des objectifs fixés dans les stratégies RSE.
Cet engagement envers la durabilité permettra aux entreprises de pérenniser leur business sur le long terme. Il est en effet crucial pour elle de sécuriser leurs approvisionnements en matières premières, de fidéliser les jeunes générations et de se conformer aux réglementations en cours et à venir.
Journal du Luxe : Comment les entreprises du secteur du luxe ont-elles pris le virage de l'IA ?
Guillaume des Rotours et Raquel Navalón De La Rosa, KPMG : Les entreprises du secteur du luxe ont pris le virage de l'IA en intégrant des technologies avancées pour améliorer l'expérience client, en ligne et en boutique, et optimiser leurs opérations. L’IA, et notamment l’IA générative, est citée comme un élément majeur de l’engagement client dans le luxe. Pour 41 % des professionnels interrogés, il s’agit de l’impact le plus important de l’IA générative, une conviction encore plus forte dans les pays asiatiques.
Elles utilisent des algorithmes d'IA pour analyser les données clients et offrir des recommandations personnalisées, enrichissant ainsi que pour l'interaction et la satisfaction client. Par exemple, des maisons de luxe comme Gucci et Burberry utilisent des chatbots et des assistants virtuels pour répondre aux demandes des clients de manière instantanée, tout en recueillant des données précieuses sur les préférences et les comportements d'achat.
Journal du Luxe : Quelle est la plus-value apportée par l'IA au secteur du luxe ?
Guillaume des Rotours et Raquel Navalón De La Rosa, KPMG : L'intelligence artificielle (IA) apporte une plus-value significative au secteur du luxe en optimisant l'expérience client et en améliorant les opérations internes des marques. Grâce à l'IA, les entreprises du secteur du luxe peuvent offrir des expériences client hautement personnalisées, adaptées aux préférences et comportements individuels. Par exemple, les recommandations de produits basées sur l'analyse des données d'achat et de navigation permettent aux clients de découvrir des articles qui correspondent précisément à leurs goûts. De plus, les technologies de réalité augmentée et virtuelle, propulsées par l'IA, enrichissent l'expérience en magasin et en ligne en permettant aux clients d'essayer virtuellement des produits, créant ainsi des interactions plus immersives et engageantes.
Sur le plan opérationnel, les entreprises de luxe adoptent l'IA pour améliorer la gestion de leur chaîne d'approvisionnement et optimiser leur inventaire. L'analyse prédictive aide à anticiper la demande et à ajuster les niveaux de stock, réduisant ainsi les excès et les pénuries. Des marques comme Louis Vuitton et Chanel utilisent des systèmes de gestion des stocks basés sur l'IA pour rationaliser leurs opérations logistiques et améliorer l'efficacité. En outre, l'IA permet d'automatiser des processus répétitifs, libérant les collaborateurs afin qu’ils puissent se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. En intégrant l'IA, les entreprises du luxe peuvent ainsi offrir un service client très qualitatif tout en améliorant leur efficacité opérationnelle et leur compétitivité sur le marché.
Journal du Luxe : L'une des tendances du luxe, d'après la dernière étude KPMG, est la digitalisation de l’acte d’achat (pour 40 % des personnes interrogées, 65 % pour ceux de la zone APAC). Alors, quel avenir pour le retail physique ?
Guillaume des Rotours et Raquel Navalón De La Rosa, KPMG : L'avenir du retail physique dans le secteur du luxe semble prometteur, mais devra s'adapter à plusieurs tendances pour rester pertinent. Les boutiques de luxe vont devenir des espaces d'expérience immersive, offrant des services de personnalisation, des événements exclusifs, et des interactions haut de gamme. La digitalisation jouera un rôle crucial avec l'intégration de technologies comme la réalité augmentée et virtuelle pour enrichir l'expérience en magasin. Ainsi, 48 % des professionnels consultés dans le cadre de notre étude estiment que "la création d’expériences omnicanales sans coutures entre on et offline" constitue l’évolution majeure du futur des boutiques de luxe.
De plus, les consommateurs étant de plus en plus sensibles aux questions de durabilité, les marques devront intégrer des pratiques durables et communiquer de manière transparente sur leurs efforts en matière de responsabilité sociale. Le service personnalisé restera un élément clé, avec des consultations privées et des services sur mesure pour répondre aux attentes des clients.
Par ailleurs, l'hybridation des canaux de vente sera essentielle pour offrir une expérience client cohérente et fluide entre les boutiques physiques et les plateformes en ligne. Les magasins de luxe adopteront des innovations technologiques comme des miroirs intelligents et des écrans interactifs pour rendre l'achat en magasin plus engageant. Les boutiques évolueront également vers des espaces expérientiels avec des installations artistiques et des événements exclusifs pour créer des expériences uniques. Enfin, les pratiques durables seront intégrées non seulement dans les produits, mais aussi dans la conception et le fonctionnement des boutiques, en optimisant la consommation énergétique et en mettant en place des programmes de recyclage.
Journal du Luxe : Quels sont les prochains défis du luxe, au vu des résultats de l'étude ?
Guillaume des Rotours et Raquel Navalón De La Rosa, KPMG : Le secteur du luxe fait face à des défis majeurs en matière de transition numérique, de durabilité et d'expérience client, tout en restant fidèle à ses valeurs fondamentales de savoir-faire exceptionnel, de qualité supérieure et d'expérience unique. La révolution digitale et durable impose aux marques de luxe de s'adapter tout en préservant leur héritage culturel et artisanal. Un des principaux défis est la gestion des talents, où les maisons de luxe doivent attirer et former des profils dotés de nouvelles expertises technologiques et durables. Pour cela, l'investissement dans des programmes de formation continue et des plateformes digitales est essentiel, bien que cela puisse sembler éloigné des méthodes traditionnelles du secteur.
En parallèle, les entreprises du luxe doivent créer des environnements propices à la créativité et à l'innovation, tout en respectant leur ADN et en évoluant avec leur temps. La combinaison de la modernité et de leur savoir-faire historique est essentielle pour rester au goût du jour tout en conservant leur singularité. L'innovation doit être vue comme un outil pour continuer à créer des rêves durables, en intégrant des pratiques de développement durable et d'économie circulaire, comme la location, la réparation, et l'usage de nouvelles technologies et designs inspirés par le biomimétisme. Ces adaptations permettront aux entreprises du secteur du luxe d'explorer de nouveaux territoires tout en répondant aux exigences des consommateurs actuels et à venir.
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Par Anaïs Clavell
Publié le 30 juillet 2024