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Le Figaro : "Au château de la Brède, l'héritage girondin de Montesquieu perdure grâce à ses descendants"

10 mars 2024 Revue de presse
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REPORTAGE - Transmis de génération en génération pendant 900 ans, le domaine du philosophe des Lumières, Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, est préservé au sein d’une fondation depuis 2004 grâce au testament de son arrière-petite-fille.

Le château de la Brède, domaine où vécut Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu, est situé en Gironde, à 45 minutes en voiture de Bordeaux. Gironde Tourisme - David Remazeilles  

Le Figaro Bordeaux

 

«Nous devons à la mémoire de nos aïeux de conserver, autant que nous le pouvons, les maisons qu'ils ont possédées et chéries : car, par le soin qu'ils en ont eu, par les dépenses qu'ils ont faites à les bâtir et les embellir, on peut juger avec une grande apparence que leur intention a été de les faire passer à leur postérité», écrivait Charles-Louis de Secondat (1728-1755), baron de la Brède et de Montesquieu dans Mes pensées. Près de trois siècles plus tard, ces mots du philosophe des Lumières résonnent encore dans les têtes et les cœurs de ses descendants et de ceux qui se sont engagés à leurs côtés pour préserver la philosophie de ce Bordelais dont l'œuvre a inspiré les fondations des démocraties républicaines modernes. Loin du faste de Versailles et de la cour anglaise qu'il affectionnait, l'aristocrate, écrivain politique et observateur des sociétés humaines aimait se réfugier en Gironde, dans son domaine du château de La Brède, hérité d'un de ses oncles.

 

Conservée par la même famille pendant 900 ans, préservée des pillages durant la Révolution, la forteresse est transmise au XXIe siècle à Jacqueline de Chabannes, qui en hérite de sa grand-mère née Montesquieu. Décédée sans héritier direct en 2004, la descendante du philosophe et la dernière à avoir habité les lieux - qu'elle ouvrait au public de son vivant pour les journées du patrimoine - décide d'organiser sa succession en assurant juridiquement la postérité de son célèbre ancêtre. «Elle ne voulait pas que le château serve à des pince-fesses (sic) et qu'il cesse d'être visité», explique José-Louis Desfilis. L’ancien avocat de Jacqueline de Chabanne l’a donc aidé à construire et penser dans son testament une fondation éponyme, désormais propriétaire du château de la Brède.

Vingt ans de restauration

Depuis 2005, ce château aux 150 hectares de jardins imaginés par Montesquieu et aux nobles intérieurs, embellis par ses descendants dont les armes ornent le fronton, est ainsi restauré grâce à la fondation. Jacqueline de Chabannes lui a en effet aussi légué un hôtel particulier, situé rue Montaigne à Paris, dont les loyers rapportent 650.000 euros par an et servent à financer les travaux. Une fois les cinq salariés et les frais de fonctionnement payés, au moins la moitié de cette trésorerie, enrichie de dotations d’État, est ainsi injectée chaque année dans les pierres qui recèlent l’esprit du philosophe, estime Maître Desfilis. «Douves, toiture, murs, fenêtres, portes, électricité, peintures, jardins, forêt, ferme attenante et écuries...» Égrenés par celui qui préside désormais la fondation, les travaux réalisés en deux décennies sont considérables. Le domaine, classé monument historique depuis le 7 mai 2008, devrait être parfaitement entretenu d’ici cinq ans. Et cela se voit.

 

Mobilier usé mais conservé, caisson de fleurs de lys parfaitement dessinées sous la bibliothèque et ferme réhabilitée pour accueillir du public handicapé... Il suffit de comparer l’état actuel des parties visitables du château aux appartements privés de Jacqueline de Chabane - que Le Figaro a pu visiter - pour comprendre la qualité des rénovations réalisée. Chaque année, à partir de mars, 28.000 visiteurs profitent ainsi du domaine et de ses abords où il est possible de déjeuner sur l’herbe en famille avant d’aller nourrir les carpes.

 

Déjà particulièrement soignés du temps du philosophe des Lumières, les extérieurs sont d’ailleurs toujours valorisés. «Montesquieu avait aménagé des jardins, mais ces espaces étaient conçus pour être utiles. Ils cachent toujours un aspect économique», explique ainsi Isabelle Cazas-Audureau, la directrice du domaine depuis 2018, qui a fait visiter les lieux au Figaro. Le célèbre aristocrate, qui aimait à dire qu’il ne savait pas si ses livres étaient renommés pour son vin ou si son vin se vendait bien grâce à ses livres, cultivait ainsi du blé en face de son château et louait ses champs le jouxtant à des éleveurs d’ovins. Les siècles ont passé, mais les vignes du château de la Brède produisent toujours du raisin vinifié par Dominique Haverlan, tandis que les pelouses du domaine accueillent encore en pâturage des vaches dès le printemps. À la rentrée prochaine, la ferme rénovée pour 1,8 million d’euros devrait également être valorisée pour accueillir des séminaires d’entreprises et des événements, en hiver, quand les portes sont fermées aux touristes.

Cultiver le bon sens

Une épopée moderne d’une intelligence rare dans les successions, qui permet à l’héritage de Montesquieu de perdurer quand tant d’autres châteaux français sont en ruine. «Je n’ai pas eu la chance d’habiter à la Brède», déclare sans amertume Charles-Henri de Montesquieu, baron de Montesquieu, «mais nous trouvons extrêmement bien que notre tante ait réussi à trouver cette formule pour sauvegarder ce patrimoine en assurant cette mise en valeur». Des déclarations qui vont au-delà des mots pour le chef de famille. Alors que Jacqueline de Chabannes, traumatisée par le terrible incendie du château d’Elizabeth II à Windsor en 1992, a donné toutes les archives de Montesquieu à la Ville de Bordeaux peu après ; son neveu qui possédait une collection d’œuvres originales glanées avec le temps sur ses deniers vient de l’offrir au domaine pour enrichir sa bibliothèque. Bibliothèque où a pu être dévoilée une immense fresque médiévale en 2014, justement grâce à l’intervention des experts de l’État impliqué via la fondation.

 

Le bon sens familial des Montesquieu est loin de s’effacer de cette terre, qui a longtemps été la leur et pour laquelle ils conservent l’affection des souvenirs passés et vivants. Succédant à Gaston de Montesquieu, mort en 1908, et à Charles de Montesquieu, décédé en 1926, qui enfilèrent l’écharpe de maire de Brède, Marie-Françoise de Montesquieu, la grand-mère de l’actuel baron, elle, a été conseillère municipale du village jusqu’en 1970. Il y a bien longtemps, bien avant que Maurice Druon l’élise pour sa dernière demeure, les Montesquieu possédaient jusqu’à la charge de l’abbaye de Faise, situé 70 kilomètres de là, dont Joseph de Secondat devient abbé en 1866. À 200 mètres à vol d’oiseau du château de la Brède, le chalet des pins qui demeure une propriété familiale d’un cousin Montesquieu par sa mère, Pierre de Tournemire, honore également l’esprit de leur aïeul en organisant régulièrement des hommages au philosophe.

Noblesse oblige

Succédant à la présidence de la fondation à Charles d’Hivernois, filleul de Jacqueline de Chabannes, José-Louis Desfilis est épris de la même philosophie. Et s’il n’explique pas par le sang son service, il témoigne son affection à la mémoire de l’arrière-petite-fille de Montesquieu et surtout sa volonté d’œuvrer au bien commun. «Il y a une équipe de gens qui est fière de s'engager dans cette restauration. C'est rare, mais je crois au cercle vertueux. On fait un truc bien, avec des gens bien. Alors quand on avance en âge et que l’on peut se dire : “Ah, c’est quand même pas mal ce que j’ai fait”, c’est extrêmement gratifiant», confie celui qui sait déjà qu’il passera la main dans les prochaines années. «Cela rend humble de travailler ici, car Montesquieu est vraiment un homme qui a marqué son temps et qui a encore à apporter au nôtre par son esprit», abonde Isabelle Cazas-Audureau, la directrice.

 

L’actuel baron de Montesquieu l’observe aussi depuis sa naissance. «Partout où je vais, les gens sont plutôt sympathiques, touchés ou impressionnés et font généralement des compliments sur mon nom de famille. Dans l'inconscient, il est certain que cela implique de bien se tenir. Ce n'est pas que nous nous forçons à le faire, mais il est probable que nous fassions plus attention du fait de ce nom que l’on porte». Noblesse oblige.

 

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Par Marie-Hélène Hérouart

Publié le 10 mars 2024