News
Le Figaro : "Paul de Sinety: «Les JO sont une formidable vitrine pour la langue française»"
ENTRETIEN - Le rayonnement de la francophonie doit aussi être l’un des objectifs de Paris 2024. Le délégué général à la langue française et aux langues de France rappelle que les sportifs en seront les ambassadeurs.
Lucas Pialot / Le Figaro
«Dire et vivre les Jeux en français et en d’autres langues.» Ce credo est au cœur de la démarche engagée conjointement par la ministre de la Culture et la ministre des Sports à l’occasion des prochains Jeux olympiques et paralympiques (JOP) en France. La mise en place d’une plateforme d’outils d’apprentissage du français par le sport et des valeurs de l’olympisme a été lancée, annonce le délégué général à la langue française et aux langues de France.
LE FIGARO. - Dans l’univers de la francophonie, comment a été accueillie la nouvelle de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) à Paris?
PAUL DE SINETY - Le choix de Paris a suscité un réel enthousiasme. Les JOP sont une manifestation d’une telle ampleur que les opportunités de promouvoir la langue française ont surgi naturellement. Très vite, des groupes de travail ont été constitués, réunissant à la fois des linguistes, des enseignants, les fédérations sportives, des athlètes. Avec l’objectif d’être concrets et pragmatiques. Par exemple, comment intégrer les nouvelles disciplines admises aux Jeux - comme le breakdance - dans la langue française alors que leurs racines, souvent liées à la culture urbaine, font la part belle au vocabulaire anglo-saxon. Nous avons réussi à trouver des solutions stimulantes: pour le «footwork», l’une des figures du break, nous proposons de dire «passe-passe». Et ainsi de suite…
N’est-ce pas un combat d’arrière-garde que de vouloir reconfigurer les termes ou expressions renvoyant à tel ou tel sport?
Vouloir parler à 320 millions de locuteurs francophones serait donc quelque chose de poussiéreux? C’est exactement le contraire. La langue est le facteur par excellence du lien social: travailler sur les mots, les expressions, les tournures, permet de cimenter les relations entre les personnes. Dans ma délégation à la langue française, nous ne sommes en aucun cas des puristes, obnubilés par la chasse aux anglicismes. Nous ne limitons pas non plus les Jeux à un petit périmètre franco-français: il s’agit d’une manifestation plurilingue, à l’image de ces petits guides numériques édités par nos soins et qui seront diffusés massivement. Au fil des pages, nous défendons le français tout en préconisant une ouverture vers les autres langues.
Il n’empêche, l’anglais a investi massivement la sphère sportive. Le phénomène est-il inéluctable?
Les grands événements sportifs appartiennent à l’économie de l’attention: ils subissent ce mouvement de globalisation et de standardisation qui touche également la sphère culturelle. Rien n’est inéluctable: les technologies au service des langues, un domaine dans lequel la France est très investie, sont une chance pour tracer une autre perspective ; l’intelligence artificielle (IA) est une mine pour sensibiliser chacun aux ressources et aux trésors de sa propre langue.
Il fut un temps où le français régnait en maître sur l’olympisme. Doit-on être nostalgique de cette période?
Jusqu’en 1972, le français était la seule et unique langue adoubée par le Comité international olympique (CIO), en vertu des efforts de Pierre de Coubertin pour faire renaître les Jeux modernes, à la fin du XIXe siècle. Partager cette reconnaissance avec l’anglais n’avait rien d’illogique, compte tenu de la puissance, économique en particulier, du monde anglo-saxon. Mais cela n’a jamais occulté la place du français dans l’écosystème olympique: souvenons-nous qu’au démarrage, Coubertin avait assorti les compétitions sportives d’épreuves intellectuelles. Cette coexistence a disparu. Reste que les Jeux sont toujours le fruit d’un héritage philosophique, empruntant à l’Antiquité comme au siècle des Lumières: c’est dire si la francophonie doit y jouer un rôle.
Les Jeux, qui sont une porte ouverte sur le monde, sont aussi un ancrage dans les territoires, à commencer par celui de la Seine-Saint-Denis, souvent présenté comme un département sinistré…
Ma délégation a signé un pacte linguistique avec la Seine-Saint-Denis, comme elle l’a déjà fait par le passé avec d’autres départements ou régions. Cela se traduit par le déploiement de plusieurs initiatives destinées à améliorer la maîtrise de la langue, dont un pan majeur est la lutte contre l’illettrisme. La maîtrise de la langue par les publics les plus fragiles en développant des offres culturelles adaptées est d’ailleurs une priorité particulièrement enthousiasmante que m’a fixée la ministre de la Culture, Rachida Dati.
En Seine-Saint-Denis, pour ces Jeux, avec les élus et le Campus francophone, nous travaillons pour faire de la langue française une langue d’hospitalité, en lien avec les autres langues. L’opération du Campus francophone - «Ici, on parle français et…» - affichant sur les devantures des magasins la langue native du commerçant, s’il n’a pas le français comme langue première, est ainsi une initiative tout à fait remarquable. Régulièrement, ma délégation conduit des études sur la perception de la langue. Résultat: les habitants de notre pays considèrent le français comme une part de leur ADN. Ce qui les rend très exigeants face aux agents publics, auxquels ils réclament instamment d’employer les bons mots.
Quels indicateurs parviendront à faire dire que ces Jeux sont réussis pour le français et la francophonie?
Oserais-je dire que ces Jeux sont déjà réussis? Depuis plusieurs mois déjà, se déroulent des olympiades culturelles qui viennent rappeler que le sport et la culture ont naturellement vocation à s’interpénétrer, à travers de nombreux événements ludiques, festifs même parfois et toujours enrichissants. Ainsi était-il de la dictée intergénérationnelle sur le thème du sport, organisée au printemps par l’association La dictée pour tous. Cet été, les Jeux seront encore plus réussis si l’on montre au monde entier que l’hospitalité ne s’accomplit pas dans la seule langue anglaise. Car ces Jeux de Paris 2024 sont partis pour être une proclamation plurilingue.
Certains observateurs raillent parfois la pauvreté du verbe des sportifs. Les athlètes tricolores sont-ils de bons ambassadeurs de la langue?
Sans conteste. La langue française, à travers ses registres et ses vocabulaires très riches du sport, dispose d’un formidable atout, que connaissent et qu’utilisent naturellement les sportifs et parasportifs venus des cinq continents. Nul doute que les ambassadeurs francophones médaillés seront nombreux et qu’ils auront les mots pour nous associer à leur joie. Clarisse Agbegnenou au judo, Hugues Fabrice Zango au triple saut, Oriane Bertone pour l’escalade, Dany Dann pour le breakdance: ce sont des noms qui me viennent immédiatement à l’esprit, mais la liste est loin d’être exhaustive.
Cet été, à la télévision, sur les ondes, les réseaux sociaux, les plateformes, dans les journaux et même dans les bistrots, le sport inondera les conversations. Y a-t-il des expressions qu’il faut, d’ores et déjà, bannir?
Les cafés et leurs comptoirs sont des bastions de la langue française la plus vivante, celle aux multiples registres et dont les variations locales, très riches, ne seront jamais mises à l’écart. Pour le reste, les questions de compréhension permettent de statuer: employer le sigle «MVP» pour «most valuable player» est infiniment moins lisible que «femme - ou homme - du match». De même, pourquoi dire qu’Antoine Dupont, au rugby à 7, manie bien les «offload»? «Passe au contact» est bien plus explicite. Le vrai critère du bannissement est là: la clarté et l’intelligibilité pour tous. Les commentateurs sportifs doivent s’en convaincre.
Lire l'article sur www.lefigaro.fr
Par Frédéric de Monicault
Publié le 29 avril 2024