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Le Figaro : "Vianney de Boisredon : «L’appel de la steppe m’a permis de découvrir l’humanité»"

10 mars 2024 Revue de presse
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PORTRAIT - L’écrivain-voyageur raconte son aventure initiatique aux portes de la Chine, en stop et chez l’habitant. Il en tire des enseignements.

«Si je pense qu’il faut accepter que certains continuent à prendre l’avion, je souhaite montrer qu’il est possible de vivre de très belles choses sans y recourir», souligne Vianney de Boisredon.

François Bouchon / Le Figaro  

«Intrépide, curieux et rêveur», c’est ainsi que se définit Vianney de Boisredon, 26 ans. Ce diplômé d’un master de commerce et management à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) aime l’aventure. Après avoir traversé l’océan Atlantique, du Mexique jusqu’en France, en voilier, exploré l’Amérique centrale puis l’Asie du Sud-Est, à pied ou à moto, il est parti l’an dernier, seul, jusqu’en Asie centrale. Une «aventure humaine» qu’il raconte dans Steppe by steppe (Flammarion).

LE FIGARO. - « Inspiré par le vent d’une promesse, je contracte le syndrome de Marco Polo », écrivez-vous à propos de votre grand départ en septembre 2022. C’est-à-dire ?

Vianney de BOISREDON. - L’Asie centrale - à savoir le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan - est une région qui me fascine depuis très longtemps. Dans mes études supérieures, j’ai étudié la politique, la philosophie, l’économie, mais je connais mal ces grands espaces qui ont été si importants dans l’histoire. Je voulais voir comment ces peuples vivent aujourd’hui dans une démarche proche de celle de l’écrivain-voyageur suisse Nicolas Bouvier, dans son récit L’Usage du monde, que j’avais glissé dans mon sac à dos avant mon départ. Je suis donc parti sur la route de la soie, empruntée autrefois par les caravanes et aujourd’hui principalement par les camions chinois pour approvisionner les pays voisins. Cet étrange appel de la steppe, en stop et chez l’habitant, m’a fait parcourir 15.000 kilomètres en trois mois.

N’avez-vous pas été gêné par la situation géopolitique de certains pays ?

Pour aller de la Géorgie au Kazakhstan, j’ai dû, en effet, me résoudre à prendre un petit avion pendant 35 minutes, enfreignant ainsi à contrecœur la ligne que je m’étais fixée. Je me suis retrouvé dans une impasse. Au sud, l’Iran est sujet à un risque d’arrestations arbitraires par le régime islamique et le Turkménistan, pays communiste, est difficilement accessible aux touristes. Au nord, la Russie ne délivre plus de visas à cause de la guerre. À l’est, l’Azerbaïdjan a fermé ses frontières terrestres en raison du Covid et de son conflit avec l’Arménie. À l’ouest, la Turquie, qui n’est pas vraiment dans la bonne direction, venait surtout de m’interdire d’y mettre un seul pied pendant deux ans…

Racontez-nous…

Au moment de quitter la Turquie pour la Géorgie, je me suis retrouvé au poste-frontière de Sarp. Là, les policiers m’ont dit que je ne pouvais pas sortir du pays, car mon passeport ne comportait pas de tampon prouvant que j’étais entré sur le territoire, en l’occurrence depuis la Grèce. Sans doute qu’entre la fatigue et l’impatience d’arriver à Istanbul j’avais oublié de me présenter au bureau de contrôle en sortant du camion. Me voici donc considéré comme un migrant illégal. Essayant de négocier à coup de Google Traduction, je suis chassé du poste frontière sous les menaces. Effondré, j’étudie toutes les solutions, et même celle de rentrer - à la moitié du voyage, donc - en France… Après une bonne nuit, passée exceptionnellement dans un hôtel pour reprendre quelques forces, je décide de tenter auprès d’un autre poste frontière, au nord-est du pays. Au terme de deux jours d’auto-stop, me voici devant d’autres policiers turcs qui ne veulent rien entendre… Jusqu’au moment où un voyageur belgo-turc, parlant français, est parvenu à les persuader. Finalement, j’ai pu passer la frontière sans même payer d’amende, mais avec la contrepartie d’être banni du pays pendant deux ans.

Avez-vous eu d’autres moments de doute lors de ce voyage ?

Étonnamment, j’en ai eu dès le début de mon voyage. Si, à l’instant de quitter la France, j’ai éprouvé une sensation de liberté, de grande légèreté, j’ai vite déchanté. Arrivé en Italie, j’ai découvert que l’auto-stop n’était pas du tout dans la culture du pays, il est même interdit sur les autoroutes. Et, comble de malchance, la météo était absolument désastreuse. Attendre sous des trombes d’eau pendant des heures a été extrêmement démoralisant. Je me disais: «Il te reste près de 15.000 km à parcourir avant d’affronter l’hiver des steppes, tu n’y arriveras jamais.» Une autre épreuve a été la solitude que j’ai ressentie en Turquie en traversant en camion, pendant des heures, les immenses zones semi-désertiques d’Anatolie, certes belles, mais très monotones. Je me disais: «Que recherches-tu? Quel est le sens de ce voyage?» Par chance, les moments joyeux sont vite arrivés!

Quels ont-ils été ?

En Géorgie, j’ai été pris en auto-stop par deux jeunes guides de trekking très sympathiques. Après m’avoir accueilli chez elle, l’une d’elles me propose de m’emmener trois jours dans les montagnes du Caucase. Ce fut vraiment un des plus beaux treks de ma vie. 50 kilomètres avec 5000 mètres de dénivelé nous attendent. Plus on monte, plus la nature devient minérale et silencieuse, hormis quelques petits oiseaux magnifiques qui filent super vite. Je n’ai qu’une envie: partager la magie de ce moment. La grandeur de la nature me ramène à ma condition d’humain. Elle me rappelle qu’à l’échelle de l’univers nous ne sommes que de simples passagers éphémères emprisonnés dans un grain de poussière d’étoile, des fragments microscopiques d’univers, une goutte d’eau dans un océan cosmique… Un autre moment très joyeux se réalise à la fin de ma grande aventure, forme de consécration de toutes les épreuves endurées. C’est une balade à cheval de trois jours, avec un guide, à travers les steppes et montagnes du Kirghizstan. On est au mois de décembre et, malgré un rayon de soleil éclatant, le cheval s’enfonce dans la neige. Dans les vallées que nous traversons, telle une fresque sibérienne, la neige et la terre produisent un contraste saisissant.

Venons-en à la démarche même de votre aventure. Pourquoi l’auto-stop ?

Au départ, ma motivation principale reposait sur la sensation d’avoir eu beaucoup de chance dans ma vie. J’ai des parents aimants, un bon groupe d’amis, j’ai pu faire de belles études… Toutefois, je me sentais un peu enfermé dans la vie, avec des tas d’injonctions: trouver un travail prestigieux, avoir un gros salaire, acheter un appartement rapidement… J’avais l’impression de ne pas avoir une vision très objective du monde. Je souhaitais étancher ma soif de le décrypter, à travers la richesse et la diversité humaines. Assez introverti, je me suis dit que l’auto-stop était une manière de m’obliger à aller à la rencontre de l’autre. Et cela, en dépit de la barrière de la langue. Pour aller au bout de ma démarche, j’ai choisi de dormir chez l’habitant, me rendant vulnérable à l’autre. Aussi, j’ai décidé que toutes les économies réalisées, en ne logeant pas en auberge, soit 15 euros par nuit et donc au total 1000 euros, seraient versées à l’association JRS France (Jesuit Refugee Service).

Quelles furent vos plus belles rencontres ?

Je citerai Ozod, un jeune Ouzbek de 26 ans, qui m’a accueilli à Tachkent. À peine sa porte franchie, il me dit en tendant un double de ses clés: «Tu peux rester ici autant de temps que tu veux. Tu es ici chez toi.» Professeur de business dans une université privée américaine, il finance la construction d’une nouvelle maison au village pour ses parents qui ont peu de moyens, l’achat d’un pied-à-terre à Tachkent pour sa famille et les études de ses frères et sœurs. Une grave maladie, la vascularite, dont le traitement lui coûte plusieurs centaines de dollars par mois, l’oblige à se rendre à l’hôpital tous les jours. Nos échanges m’ont fait réaliser la chance que j’ai de pouvoir entreprendre un tel voyage. Autre jolie rencontre, celle de Britt, dans une banlieue populaire de Tbilissi en Géorgie. Elle est professeur d’anglais, couturière et «life coach». Son accueil est très chaleureux. Elle recoud mon matériel abîmé. Quand je lui demande pourquoi elle est aussi attentionnée, elle répond: «Vianney, tu es le fils de quelqu’un. Si mon fils voyageait comme toi, j’aimerais qu’on s’occupe de lui comme je le fais en ce moment.» Britt n’a jamais eu d’enfants, mais elle transforme cette souffrance en générosité.

Quels enseignements tirez-vous de votre « aventure initiatique » ?

Ce voyage s’est, bien évidemment, accompagné d’un voyage intérieur. Il m’a confirmé que c’était possible d’aller au bout de mes projets. Parvenir jusqu’aux portes de la Chine en stop ou, récemment, avoir la chance d’être édité par Flammarion, me conforte dans l’envie de lancer un jour une entreprise dans le voyage alternatif, c’est-à-dire un voyage écoresponsable et tourné vers la rencontre de l’autre, le dépassement de soi et l’intériorité. Si je pense qu’il faut accepter que certains continuent à prendre l’avion, je souhaite montrer qu’il est possible de vivre de très belles choses sans y recourir.

En conclusion ?

Mon livre se veut un message d’audace, d’émerveillement, d’espérance, de confiance en l’autre. Si croire en Dieu aide à croire en l’humanité, ce n’est pas une condition. Croire en l’humanité en ces périodes troubles est essentiel pour résoudre ensemble nos défis sociétaux, écologiques et humains.

 

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Par Marie-Laetitia Bonavita

Publié le 10 mars 2024