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Le Figaro : "«On a la compétence, la connaissance et l’expérience pour éviter les suicides assistés»: Élisabeth de Courrèges, croyante et soignante"
PORTRAIT - Ergothérapeute dans un service de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer après avoir exercé dans un service de soins palliatifs, cette catholique engagée, opposée au projet de loi pour une «aide à mourir», prône les vertus de la fraternité.
«Pour moi, Pâques, c’est l’espérance. Je m’engage pour des causes qui ne sont pas vraiment réjouissantes, mais l’espérance, grâce à l’amour du Christ, que je trouve en cette Pâques, est importante», déclare Élisabeth de Courrèges (ici vendredi à Paris). SEBASTIEN SORIANO/Le Figaro
Prendre soin des autres, et surtout des plus fragiles, c’est la mission que s’est donnée Élisabeth de Courrèges, jeune ergothérapeute auteur d’un livre, paru en 2022, sur l’accompagnement de la fin de vie. Lorsque nous la rencontrons en cette période pascale, la jeune femme, parée d’une forme de tranquille assurance, s’apprête à se rendre à la messe «pour l’office de 20h30 à la Butte-aux-Cailles».
Elle accepte cependant volontiers et «avec joie» d’évoquer son métier qui s’apparente à une forme de sacerdoce puisant son origine dans son histoire familiale et une foi profonde.
«Mes parents, médecins, m’ont éduquée dans l’amour du Christ, explique-t-elle. J’allais beaucoup au catéchisme étant enfant avec mes six frères et sœurs.» Et de poursuivre, installée dans la chambre de l’appartement en colocation qu’elle occupe: «Avant mes 15 ans, j’avais une vision ni bonne ni mauvaise de la foi. Et puis, j’ai fait une retraite dans un monastère. C’est à cette occasion que j’ai fait la rencontre de Dieu, j’ai compris que le Seigneur m’aimait. C’était une sensation très intense», dit-elle, le regard ailleurs, émue d’évoquer ce souvenir qui a déterminé sa vie spirituelle.
Depuis, l’amour du Christ ne l’a pas quittée. La jeune femme a même été missionnaire dans un monastère à Erevan, en Arménie, entre août 2022 et avril 2023. «Si je meurs demain, je serai heureuse d’être allée là-bas, dit-elle, tout imprégnée encore de ce qu’elle a vécu sur ce territoire en guerre. Je m’occupais, comme ergothérapeute, d’enfants polyhandicapés ou en fin de vie. J’étais dans un orphelinat tenu par les sœurs de Mère Thérésa. Je faisais en sorte qu’ils se sentent bien malgré leur chagrin.»
Cette expérience a été comme un appel auquel elle a répondu. «Je voulais aider l’Arménie qui est le premier pays à s’être déclaré chrétien catholique historiquement, en l’an 301», explique-t-elle en rappelant «qu’il y a une forte diaspora arménienne en France». En cette période de Pâques 2024, elle pense presque naturellement à ce pays. «Pour moi, Pâques, c’est l’espérance. Je m’engage pour des causes qui ne sont pas vraiment réjouissantes, mais l’espérance, grâce à l’amour du Christ, que je trouve en cette Pâques, est importante.»
Elle poursuit: «J’ai compris tard que les plus faibles avaient besoin de l’aide des valides, qu’il ne fallait pas en avoir honte.» Elle fait ainsi pudiquement référence à sa sœur. «Durant mon enfance, je ne voulais pas voir que ma grande sœur était différente, qu’elle était atteinte d’un handicap mental. Un jour, cela m’a sauté aux yeux et j’ai eu honte d’elle, je m’en voulais de ressentir cela. Puis j’ai compris par mes parents qu’elle avait besoin de nous.» Sa foi lui a également permis de comprendre qu’il y avait une personne derrière cette dernière. «Saint Thomas a reconnu Jésus derrière sa plaie, donc il y a aussi une personne derrière les blessures de ma sœur. Emmanuel Levinas disait: “Ces visages nous appellent.” Eh bien, moi, je lui dis: “Me voici, je suis là.”»
Suite à cette prise de conscience, le choix d’Élisabeth de Courrèges de choisir l’ergothérapie, un métier tourné vers le soin, a quasiment coulé de source. Et c’est dans une unité de soins palliatifs, dans laquelle elle a exercé, que s’est forgée en elle la conviction qu’il faut combattre le suicide assisté comme l’euthanasie.Elle a écrit un livre à ce sujet, Nous veillerons sur votre dignité, parole de soignante (Éditions Mame). «Dans les soins palliatifs, on ne s’accroche pas à la vie à tout prix, mais on donne du prix à ce qu’il reste à vivre. Quand les gens doivent partir, ils partent. Je comprends qu’on puisse avoir du mal à voir la dignité dans certains moments mais quand on prend soin d’une personne, on rend cette dignité davantage visible pour eux», explique-t-elle calmement.
Élisabeth de Courrèges expose son point de vue, sans jamais s’emporter. Lorsqu’on évoque devant elle le projet de loi sur «l’aide à mourir» qu’a annoncé Emmanuel Macron, elle déroule ses arguments un à un. Calmement. «J’ai le sentiment que l’on sait faire autrement, assure-t-elle. On a la compétence, la connaissance et l’expérience pour éviter les suicides assistés. Et puis j’ai peur qu’on prenne des décisions trop hâtives. Déjà aujourd’hui, je remarque que parfois on décide puis on réfléchit après coup. Alors imaginez si ce type de mécanisme se met en place, concernant la vie d’un patient… Il y aurait des drames. Sans compter que cet interdit de donner la mort pourrait tomber», dénonce-t-elle, comme attristée par avance.
«Chaque être humain a une dignité»
S’appuyant sur son expérience, elle relève. «Je n’ai vu que très peu de personnes qui demandaient à mourir, finalement. Quand on s’occupe bien d’eux, donc quand on y met les moyens, nos patients profitent de leurs derniers instants de vie.» Le premier souci dans ce débat vient donc, pour elle, d’une peur de soi-même. «On parle beaucoup de dignité, mais chaque être humain, dans n’importe quel état, a une dignité. On parle aussi de la douleur, mais je peux vous assurer que les patients que j’ai ne se plaignent pas beaucoup de leur qualité de vie. C’est la peur qui nourrit cette inquiétude, la peur de se voir vieillir et mourir», avance l’ergothérapeute. Et d’ajouter: «Je pense à une dame qui est venue dans mon service après avoir lutté contre le Covid. Elle avait des escarres partout, un visage gris immobile qui ne disait mot, elle pouvait apparaître comme celle dont on dit qu’elle n’est plus “digne”. Mais finalement, on l’a soignée, on a fait en sorte qu’elle revive un peu. Puis, petit à petit, elle a recommencé à sourire, à parler même et puis elle est partie alors qu’elle n’avait pas été aussi rayonnante depuis longtemps, comme si elle avait eu besoin de cet apaisement pour partir, digne.»
Sa vie, son expérience familiale ont renforcé cette conviction profonde. «Ma maman est décédée il y a un an, elle avait 70 ans. Quatre ans avant sa mort, elle était déjà potentiellement éligible à l’euthanasie. Eh bien, pendant ces quatre ans, elle a vécu des moments familiaux qu’elle n’aurait pas pu vivre si elle avait cédé à la tentation. Je perpétue aussi ses convictions sur la fin de vie. Elle est partie sans souffrir selon ses propres mots.»
Pour Pâques, Élisabeth de Courrèges pense beaucoup à sa mère dans ce contexte de débat sur la fin de vie. «Un jour, le Seigneur reviendra sur terre et tout ce pour quoi on se sera battu sera consolé et guéri. On trouvera du sens à tout ce que l’on fait à ce moment-là. C’est cette espérance que m’inspire Pâques. C’est d’ailleurs le fond du dernier message de ma mère. “Que ça aurait été dommage de gâcher ces si beaux et si précieux derniers mois de vie auprès de vous.” C’est elle le symbole de cette Pâques selon moi.»
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Par Sacha Beaud'huy
Publié dimanche 31 mars 2024